November 1, 2013
October 24, 2013
Une rencontre chaleureuse
Son Excellence Shri Arun K. Singh, nouvel ambassadeur de l'Inde en France, a eu l'amabilité de recevoir l'ensemble de notre association Saison Indienne à Toulouse, le mardi 22 octobre, à l'hôtel Crown Plaza. Accompagné de quelques collaborateurs, il a pris le temps d'écouter chacun, s'intéressant aussi bien aux liens personnels des membres de l'association avec l'Inde et la culture indienne qu'aux actions menées au cours de l'année d'existence de notre structure. Lorsque l'échange, cordial et chaleureux, s'est tourné vers les perspectives d'avenir, il a pu être notamment question du souhait de création d'un centre culturel indien à Toulouse... celui de Paris, rappelons-le, devrait être achevé l'an prochain. Il apparaît aussi que notre association peut bien évidemment compter sur un soutien confirmé de l'ambassade, en particulier pour l'organisation des futures éditions de notre festival.
Nous adressons donc nos plus vifs remerciements à son Excellence et à son équipe et souhaitons de tout cœur que notre action en faveur de la culture indienne prenne une dimension plus importante encore à l'issue de cette rencontre.
Son Excellence Shri Arun K. Singh et les membres de Saison Indienne. Photo Pascal Champlon.
October 20, 2013
Toulouse reçoit l'ambassadeur de l'Inde en France
Son Excellence Shri. Arun K.
Singh (nouvel ambassadeur d’INDE en France) sera en visite officielle à Toulouse
du 21 au 23 octobre 2013.
A l’occasion de sa première
visite en région, Son Excellence Shri. Arun K. Singh, nouvel ambassadeur d’Inde
en France a choisi la région Midi-Pyrénées. Plusieurs raisons motivent ce
choix.
D’abord, bien sûr, parce que
Toulouse est la capitale de l’aéronautique avec AIRBUS et l’Aerospace Valley.
Ensuite parce que Toulouse est
une métropole tournée vers l’International qui associe « bien vivre » et
innovation.
Enfin, Toulouse a accueilli en avril 2013, le premier festival du
cinéma indien organisée par l’association SAISON INDIENNE.
Ce sera l’occasion pour son
excellence de rencontrer les représentants du monde politique, économique et
académique afin d’approfondir les liens existants et nouer de nouvelles
relations.
A cette occasion, Son Excellence
Shri. Arun K. Singh tiendra une conférence de presse pour expliquer à la presse
locale l’importance de l’Inde dans le concert des nations et un relais de
croissance pour les entreprises françaises.
La rencontre avec notre association Saison Indienne aura lieu lundi 21
à 17h30 à l’hôtel Crown Plaza, Place du Capitole.
September 9, 2013
Appel à collaboration - Affiche
En vue de la seconde édition du festival
Saison Indienne qui aura lieu en avril 2014, nous lançons
un appel à propositions pour l' affiche du festival.
Le thème : l'Inde et ses multiples facettes. Le festival est axé principalement sur les Cinémas indiens (Bollywood mais pas seulement), et propose également des animations culturelles et des regards croisés sur la société indienne.
L'affiche devra donc illustrer cette diversité. Le contenu du festival n'étant pas encore totalement défini, nous ne demandons pas une affiche finalisée mais une proposition susceptible d'évoluer : ajout des lieux de projection par exemple.
Merci d'envoyer vos propositions à saisonindienne31@gmail.com avant le 31 octobre 2013. Notre budget restreint ne nous permettra pas de vous rémunérer, mais vous recevrez des invitations pour assister gratuitement à nos évènements et aux séances de films.
Le thème : l'Inde et ses multiples facettes. Le festival est axé principalement sur les Cinémas indiens (Bollywood mais pas seulement), et propose également des animations culturelles et des regards croisés sur la société indienne.
L'affiche devra donc illustrer cette diversité. Le contenu du festival n'étant pas encore totalement défini, nous ne demandons pas une affiche finalisée mais une proposition susceptible d'évoluer : ajout des lieux de projection par exemple.
Merci d'envoyer vos propositions à saisonindienne31@gmail.com avant le 31 octobre 2013. Notre budget restreint ne nous permettra pas de vous rémunérer, mais vous recevrez des invitations pour assister gratuitement à nos évènements et aux séances de films.
July 20, 2013
La presse en parle...
On parle du festival Saison Indienne dans le dernier numéro des "Nouvelles de l'Inde", édité par l'Ambassade de l'Inde
http://www.ambinde.fr/images/PDF/nouvelles-de-l-inde/Inde%20411%20_%2006-08%202013.pdf
http://www.ambinde.fr/images/PDF/nouvelles-de-l-inde/Inde%20411%20_%2006-08%202013.pdf
June 9, 2013
April 26, 2013
Une Saison s'achève... Tournons-nous déjà vers la suivante !
La première édition du festival Saison Indienne à Toulouse s'est achevée à Blagnac, au cinéma Rex, le dimanche 21 avril... Préparé par un groupe de six passionnés rejoints et soutenus par une équipe enthousiaste et efficace de bénévoles, notre festival a reçu l'appui précieux de nombreuses institutions et organismes divers, dont l'Ambassade de l'Inde en France, la Ville de Toulouse, la Région Midi-Pyrénées et tous les sponsors que vous pouvez voir mentionnés sur ce blog... Nous adressons nos plus vifs remerciements à tous ceux qui, de près ou de loin, ont œuvré pour que cette manifestation ait lieu et se déroule dans les meilleures conditions.
Mettre sur pied un tel événement en seulement quelques mois relevait du défi, et nous sommes heureux qu'il ait été relevé de belle manière, malgré de minimes accrocs que le public a eu l'indulgence et la gentillesse de nous pardonner... Ce public de la première édition a su en apprécier la diversité et la qualité, et nous a apporté des encouragements qui laissent augurer un bel avenir... C'est vers celui-ci que nous nous tournons dès à présent, en affichant de nouvelles ambitions, quantitatives et qualitatives. Le cinéma indien, inépuisable, est bien sûr voué à rester le pilier central de la Saison Indienne, et nous espérons donner plus d'éclat encore à notre future programmation, à travers des projections plus nombreuses et - pourquoi pas ? - la présence d'invités d'honneur. Les expositions et les conférences peuvent prendre également une nouvelle ampleur. Des animations diverses, telles que celles que nous a proposées l'Espace Ravi Prasad, doivent pouvoir attiser ou satisfaire toutes sortes de curiosités... Nous souhaitons aussi beaucoup plus largement ouvrir la scène aux spectacles vivants, qu'il s'agisse de danse, de musique, de marionnettes, que sais-je encore... N'hésitez surtout pas !
Le Festival en quelques images : http://www.flickr.com/photos/94944653@N08/sets/
April 25, 2013
Danse kalbelia en clôture du festival...
Guillemette Silvand-Baffert et ses élèves on proposé un prestation de danse en deux temps au cinéma Rex de Blagnac, avant la projection du film Ek Tha Tiger qui clôturait définitivement la première édition de notre festival Saison Indienne à Toulouse. Guillemette nous donne ici quelques précisions…
Née dans une
famille de musiciens de l'orchestre national du Capitole de Toulouse, j'ai
fréquenté les coulisses du théâtre et les loges des danseuses depuis que je
sais marcher. Il était évident que je serais danseuse. J'ai commencé la danse
en cours à cinq ans, j'ai d'abord pratiqué la danse classique, le modern jazz,
le contemporain et les claquettes, puis plus tard la danse orientale, le
flamenco et d'autres danses gitanes, plus particulièrement la danse kalbelia.
C'est dans cet univers que s'inscrivent aujourd'hui mes créations.
Mes élèves
pratiquent la danse orientale avec moi depuis peu. Pour certaines ce n'est que
la deuxième année. Elles ont en commun d'être motivées et enthousiastes pour
toutes les danses que je peux leur proposer. Elles ont donc travaillé cette
année, depuis décembre seulement, la danse kalbelia, dans le cadre de l'atelier
chorégraphique que je propose au Foyer Rural de Grenade. Ce fut une très
belle expérience de découvrir cette danse gitane, expérience qu'elles
souhaitent poursuivre. Elles se sont impliquées également dans la conception et
la réalisation des costumes.
Le choix des danses
proposées avant la projection du Rex le 21 avril repose sur la volonté de
montrer une danse dans sa forme d'origine mais aussi dans les passerelles
possibles vers d'autres danses gitanes. Le morceau "Yankeen" de Titi
Robin, extrait de son album Rakhi, mêlant la musique et les chants
kalbelia avec le flamenco, se prêtait naturellement à ce mélange de danses qui
présentent de fortes similitudes : ancrage et frappe de pieds, travail des bras
et des mains très expressif.
Cet été,
l'association Les Arts au Soleil! organise la 4ème édition du festival
Danses Pour Tous, festival campagnard, familial et convivial proposant
plusieurs stages par jour allant du niveau découverte au niveau
intermédiaire/avancé, ainsi que 6 films ou spectacles tout public. Le festival
a lieu dans le hameau de Galembrun, qui fait partie de la commune de Launac
(31330), entre Grenade et Cadours, à 35km au nord-ouest de Toulouse. Cette
année, le fil rouge de la semaine sera la danse et la musique indienne kalbelia
avec la présence de Maria Robin du lundi au samedi pour des stages de chant et
de danse, et elle sera accompagnée de trois musiciens pour un spectacle Du
Rajasthan à la Méditerranée le vendredi 19 juillet à 21h30. Toutes les infos
pour le festival sont sur www.festivaldansespourtous.fr
A ne pas manquer
également :
April 17, 2013
A voir samedi 20 avril à 15 h à l'ABC, Unni, ou le regard sur le monde d'enfants du Kérala
Samedi 20 avril à 15h au cinéma ABC, Saison indienne présente Unni, un film de Murali Nair.
"Unni est un petit garçon qui habite dans un village à Kerala. Il appartient à la caste supérieure des Nairs. Ses amis Raju, Ramu et Gopi, avec lesquels il va à l'école, appartiennent à la caste la plus basse des couches sociales, connue sous le nom "d'intouchables". Ensemble avec ces amis, Unni va découvrir le monde qui les entoure. " (© Patou Films International)
Dans cette interview accordée à Frédérique Bianchi, vice-présidente de Saison indienne, Murali Nair revient sur son parcours et sur l'historique du film.
Unni, votre film, est projeté dans le cadre d'un ciné-goûter. Paradoxalement, puisque vous avez reçu la caméra d'or à Cannes pour Maranan Simhasanam en 1999, les spectateurs toulousains vous connaissent peu.
J'en suis vraiment désolée ! Si vous m'invitez et si vous m'offrez une bonne bouteille de vin, je peux vous assurer qu'ils se souviendront de moi !
Pour faire connaissance, est-ce que vous voulez bien nous en dire un peu plus sur vous, votre parcours pour devenir réalisateur, votre carrière, vos projets aujourd'hui ?
Après mon master de géologie, j'ai voyagé pendant deux ans en Inde. C'est à la fin de ce voyage que j'ai compris que le cinéma était mon moyen de communiquer. J'ai fait mon premier court-métrage en 1993, à partir d'un poème en malayalam, la langue du Kérala. Ce film a gagné un prix en Inde. Depuis, avec mon épouse, Preeya Nair, j'ai produit des programmes jeunesse pour la télévision, à Londres, j'ai filmé des enfants du monde entier. Pour en savoir plus, vous pouvez visiter ce site : www.flyingelephant.co.uk Je vous invite aussi à visiter www.artforchange.tv pour découvrir le travail que nous menons avec des populations tribales qui n'ont parfois jamais vu de caméra auparavant ! C'est génial...
Pouvez-vous nous expliquer le titre français du film : Unni, l'autre histoire d'un enfant indien ?
Ce film s'appuie sur les souvenirs de mon enfance : grandir dans un petit village du cœur du Kerala. Imaginez-vous combien il peut être difficile d'être prêt psychologiquement à amener une équipe de tournage dans votre propre village ? Et dans votre propre enfance ? Unni raconte l'histoire d'un enfant de la classe moyenne qui grandit dans un village rural.
Pouvez-vous nous raconter l'histoire du tournage de ce film ?
C'était vraiment une formidable expérience. J'ai été entièrement saisi par l'amour des enfants. L'école n'a quasiment pas changé. Si l'un d'entre vous veut visiter le village, il est le bienvenu quand il veut !
On dit souvent qu'un tournage avec des enfants qui ont un rôle important peut-être plus difficile qu'un autre tournage, quel est votre point de vue ?
Ce sont des histoires fabriquées par les adultes qui ne savent pas comment communiquer avec les enfants. De mon expérience, les enfants sont bien plus éclairés et compréhensifs qu'un adulte. Leurs idées sont neuves. J'aime travailler avec eux et je suis en train de préparer un autre film avec des enfants actuellement.
Comment voyez-vous le cinéma français ?
Si le cinéma français n'était pas là, je ne serais pas en train de réaliser des films. C'est la seule industrie où la forme a évolué et nous a aidés, nous, les réalisateurs du monde entier, d'un point de vue théorique, esthétique et économique. La manière de raconter des histoires de Robert Bresson a eu une grande influence sur mes jeunes années, je le salue.
Que pensez-vous des cinémas indiens aujourd'hui et de leur capacité de circulation au-delà de leur marché intérieur ?
L'industrie cinématographique indienne est en cours d'évolution. Elle était sous l'influence de la tradition orale et de la glorification du héros depuis très longtemps. Aujourd'hui, sans doute en lien avec la révolution technologique, un vent frais de liberté arrive. Aujourd'hui, c'est plus facile qu'auparavant pour les jeunes réalisateurs. Aujourd'hui, le challenge est plutôt d'innover en matière de contenu et de présentation. La formule bollywood est en train de se briser. C'est un temps de changement. Nous verrons. Parce que le marché local est grand, ils n'ont pas pris en compte les autres marchés, extérieurs. C'est un problème que rencontrent aussi les films différents.
Unni sera diffusé à Toulouse pour la première fois lors de notre festival, qu'auriez-vous envie de dire aux spectateurs, adultes comme enfants, qui vont découvrir votre film ?
L'enfance est la période de liberté la plus perturbante de la vie de quiconque... Savourez-là ! Il n'y a rien qui puisse empêcher quelqu'un de rester éternellement jeune/enfant ! Merci beaucoup de projeter mon film !
Critique du film - par Hervé Gouault
Unni, L'autre histoire d'un enfant indien de Murali Nair, est un film tourné en 2005 en langue Malayalam et sorti en France en 2007.
Informations techniques et biographiques
Scénario: Murali Nair
Durée: 80mn V.O: Malayalam (dialecte indien) Sortie France: Doublage en français Synopsis
Réalisateur : Murali Nair est né en 1966 à Kerala, au sud de Inde. Depuis son premier court-métrage "A long journey" sélectionné en compétition officielle à Cannes 1996, il a réalisé quatre long-métrages dont Marana Simhasanam "Le trône de la mort" (caméra d'or Cannes 1999), "A dog's day" (un certain regard - cannes 2001), et "Arimpara" (un certain regard - Cannes 2003).
"Unni est un petit garçon qui habite dans un village à Kerala. Il appartient à la caste supérieure des Nairs. Ses amis Raju, Ramu et Gopi, avec lesquels il va à l'école, appartiennent à la caste la plus basse des couches sociales, connue sous le nom "d'intouchables". Ensemble avec ces amis, Unni va découvrir le monde qui les entoure. " (© Patou Films International)
Dans cette interview accordée à Frédérique Bianchi, vice-présidente de Saison indienne, Murali Nair revient sur son parcours et sur l'historique du film.
Unni, votre film, est projeté dans le cadre d'un ciné-goûter. Paradoxalement, puisque vous avez reçu la caméra d'or à Cannes pour Maranan Simhasanam en 1999, les spectateurs toulousains vous connaissent peu.
J'en suis vraiment désolée ! Si vous m'invitez et si vous m'offrez une bonne bouteille de vin, je peux vous assurer qu'ils se souviendront de moi !
Pour faire connaissance, est-ce que vous voulez bien nous en dire un peu plus sur vous, votre parcours pour devenir réalisateur, votre carrière, vos projets aujourd'hui ?
Après mon master de géologie, j'ai voyagé pendant deux ans en Inde. C'est à la fin de ce voyage que j'ai compris que le cinéma était mon moyen de communiquer. J'ai fait mon premier court-métrage en 1993, à partir d'un poème en malayalam, la langue du Kérala. Ce film a gagné un prix en Inde. Depuis, avec mon épouse, Preeya Nair, j'ai produit des programmes jeunesse pour la télévision, à Londres, j'ai filmé des enfants du monde entier. Pour en savoir plus, vous pouvez visiter ce site : www.flyingelephant.co.uk Je vous invite aussi à visiter www.artforchange.tv pour découvrir le travail que nous menons avec des populations tribales qui n'ont parfois jamais vu de caméra auparavant ! C'est génial...
Pouvez-vous nous expliquer le titre français du film : Unni, l'autre histoire d'un enfant indien ?
Ce film s'appuie sur les souvenirs de mon enfance : grandir dans un petit village du cœur du Kerala. Imaginez-vous combien il peut être difficile d'être prêt psychologiquement à amener une équipe de tournage dans votre propre village ? Et dans votre propre enfance ? Unni raconte l'histoire d'un enfant de la classe moyenne qui grandit dans un village rural.
Pouvez-vous nous raconter l'histoire du tournage de ce film ?
C'était vraiment une formidable expérience. J'ai été entièrement saisi par l'amour des enfants. L'école n'a quasiment pas changé. Si l'un d'entre vous veut visiter le village, il est le bienvenu quand il veut !
On dit souvent qu'un tournage avec des enfants qui ont un rôle important peut-être plus difficile qu'un autre tournage, quel est votre point de vue ?
Ce sont des histoires fabriquées par les adultes qui ne savent pas comment communiquer avec les enfants. De mon expérience, les enfants sont bien plus éclairés et compréhensifs qu'un adulte. Leurs idées sont neuves. J'aime travailler avec eux et je suis en train de préparer un autre film avec des enfants actuellement.
Comment voyez-vous le cinéma français ?
Si le cinéma français n'était pas là, je ne serais pas en train de réaliser des films. C'est la seule industrie où la forme a évolué et nous a aidés, nous, les réalisateurs du monde entier, d'un point de vue théorique, esthétique et économique. La manière de raconter des histoires de Robert Bresson a eu une grande influence sur mes jeunes années, je le salue.
Que pensez-vous des cinémas indiens aujourd'hui et de leur capacité de circulation au-delà de leur marché intérieur ?
L'industrie cinématographique indienne est en cours d'évolution. Elle était sous l'influence de la tradition orale et de la glorification du héros depuis très longtemps. Aujourd'hui, sans doute en lien avec la révolution technologique, un vent frais de liberté arrive. Aujourd'hui, c'est plus facile qu'auparavant pour les jeunes réalisateurs. Aujourd'hui, le challenge est plutôt d'innover en matière de contenu et de présentation. La formule bollywood est en train de se briser. C'est un temps de changement. Nous verrons. Parce que le marché local est grand, ils n'ont pas pris en compte les autres marchés, extérieurs. C'est un problème que rencontrent aussi les films différents.
Unni sera diffusé à Toulouse pour la première fois lors de notre festival, qu'auriez-vous envie de dire aux spectateurs, adultes comme enfants, qui vont découvrir votre film ?
L'enfance est la période de liberté la plus perturbante de la vie de quiconque... Savourez-là ! Il n'y a rien qui puisse empêcher quelqu'un de rester éternellement jeune/enfant ! Merci beaucoup de projeter mon film !
Critique du film - par Hervé Gouault
Unni, L'autre histoire d'un enfant indien de Murali Nair, est un film tourné en 2005 en langue Malayalam et sorti en France en 2007.
Nous découvrons la
vie de jeunes enfants indiens, dans leur école principalement, dans un village
de la région Kérala, au sud-ouest de l'Inde, là même où le réalisateur a
grandi. Unni, en rébellion
contre sa famille de caste supérieure, désire avant tout pouvoir passer du
temps avec ses trois camarades de classe de caste inférieure. Les quatre amis
multiplient les espiègleries tout au long du film, à la manière des personnages
de Mark Twain, Tom Sawyer et Huckleberry Finn, pratiquant comme eux
l'école buissonnière.
On pense aussi au
cinéma de François Truffaut, avec son personnage Antoine Doinel qui souffre
comme Unni dans ce film de son rapport au père. Mais c'est plutôt du côté du
maître de François Truffaut, Jean Renoir, que ce film renvoie, avec une caméra
davantage documentaire et ethnique, comme son célèbre film Le Fleuve
(1951) en témoigne, filmant les Indiens au plus près de leurs traditions et
coutumes.
Nous pourrions
ajouter encore d'autres références au cinéma français, comme le film Zéro de
conduite de Jean Vigo (1933), au ton libre et novateur, puisque Murali Nair
reconnaît l'influence du cinéma français et en particulier de Robert Bresson
qui a eu une grande influence sur son expression, comme il le confie dans
l'entrevue qu'il a accordée à Frédérique Bianchi, co-fondatrice du premier
festival Saison indienne à Toulouse.
Cette chronique de
l'enfance vue par les yeux d'Unni plonge le spectateur dans une forte proximité
avec les personnages. Elle monte en intensité dramatique jusqu'à une scène
finale touchante et belle, qui n'est pas sans rappeler la magnifique scène des
enfants japonais du film I Wish de Hirokazu Kore-eda (2011) qui, au
passage du train grande vitesse qu'ils guettaient fébrilement, hurlent leurs
vœux les plus secrets.
Ce film tout public
nous renvoie tous naturellement à nos souvenirs enfouis de notre enfance dans
cette Inde qui nous semble si proche et si lointaine en même temps.
Informations techniques et biographiques
Scénario: Murali Nair
Durée: 80mn V.O: Malayalam (dialecte indien) Sortie France: Doublage en français Synopsis
Réalisateur : Murali Nair est né en 1966 à Kerala, au sud de Inde. Depuis son premier court-métrage "A long journey" sélectionné en compétition officielle à Cannes 1996, il a réalisé quatre long-métrages dont Marana Simhasanam "Le trône de la mort" (caméra d'or Cannes 1999), "A dog's day" (un certain regard - cannes 2001), et "Arimpara" (un certain regard - Cannes 2003).
April 15, 2013
April 13, 2013
Nirankush "Ce qui est perturbant, c’est que pas grand-chose n’a changé"
Film inédit en France, qui sera diffusé le 17 avril à 19h à l'ESAV Toulouse. L'équipe du festival Saison indienne a interviewé Venu Arora, réalisatrice du film Nirankush (1997).
Pourriez nous dire quelques mots de votre carrière, de votre métier de réalisatrice ? Quand et comment avez-vous commencé? Où vous voyez-vous aujourd’hui ? Combien de films avez-vous réalisés ?
J'ai étudié la 'Mass Communication' au Centre de recherche en communication de masse de l’Université Jamia Milia Islamia. C’était en 1995, l'industrie télévisuelle commençait juste à s’imposer et tous mes camarades voulaient rejoindre les chaînes d'informations. Je ne voulais faire cela mais je ne savais pas non plus ce que je voulais faire de ma vie. La seule obligation majeure que je ressentis alors était d'apporter une différence, une sorte de différence dans le monde autour de moi. Lors d’un de mes voyages, j’ai été confrontée à la pratique de l'infanticide des filles au Rajasthan. La banalité de cet acte m'a bouleversée et m’a perturbée pendant longtemps à tel point que pendant mes études en master, j'ai écrit un scénario sur ce sujet. Quand j’en ai fait part à mon professeur, il a pensé que ce scénario avait du potentiel. Puis c’est tombé aux oubliettes. Ensuite, alors que je finissais mon master, mon professeur devint le patron de Film Division et m'a demandé de déposer mon scénario pour voir s’il pourrait être sélectionné. Et il le fut. Film Division accepta de produire le film. Nirankush était né.Depuis, je gère une petite association qui travaille sur la communication pour le changement social. Et tous les films que nous avons produits ont pour but d’articuler les problèmes et les priorités des communautés avec lesquelles nous travaillons. Ce travail comprend par exemple la trilogie de « Growing Up Badhte Hum » (1998-2002) réalisée avec des adolescents sur le thème de la sexualité. « Rahein », série en 10 épisodes (2011), parle des difficultés et souffrances dues à la pauvreté, des défis de l'Inde péri-urbaine et des choix de vie. « Gaudhuli » (2008) est un documentaire sur le parcours des migrants du Népal qui viennent travailler dans la métropole indienne de Mumbai. J’ai aussi fait une série de documentaires sur les changements économiques des petites villes indiennes et comment ceux-ci ont impacté les modes de vie traditionnels.
Qu'est-ce qui vous a inspiré la réalisation de Nirankush ? Pourquoi un film sur l'infanticide des filles?
Je me considère comme féministe donc je ne pense pas que c'était quelque chose d’extraordinaire que de vouloir parler de l'infanticide des filles, une pratique qui existe encore dans plusieurs coins d'Inde. Ce qui est perturbant, c’est que pas grand-chose n’a changé et en fait, si je devais refaire Nirankush aujourd'hui, probablement que seul le décor changerait.
Souhaitez-vous partager quelques anecdotes ou expériences à propos du tournage ?
Oui, il y plein d'anecdotes à propos du tournage. C'était mon premier film en 35 mm, mon premier film avec autant d’acteurs et une si grande équipe. J’ai passé plusieurs mois à voyager au Rajasthan, à séjourner dans les villages à la recherche de « mon » village pour Nirankush. J’ai rencontré plusieurs actrices pour les rôles de Dhuli et Vaani. Deepti avait le regard vif d’une fille de la ville et ses yeux reflétaient à la fois la détermination et l’incertitude. Bhaktu était joué par un acteur francophone de Pondichéry, Somasundaram, il ne connaissait pas un mot de Hindi alors il a appris les dialogues par cœur, et les prononçait après avoir travaillé les dialectes à partir des enregistrements que j'avais faits dans les villages. L’actrice choisie pour jouer le rôle de Dai était âgée et bien connue de la grande industrie du film de Mumbai. J’ai répété avec elle pendant un mois, mais au dernier moment elle s'est retirée -un jour avant notre départ en voyage. Nous étions en panique. J’étais en larmes. Mais nous avons eu Veenaji, qui est devenue un sauveur et on a jonglé avec les plannings, et fait des allers-retours. Quand on est arrivé au village, on a réalisé que les trois microphones que nous avions loués ne fonctionnaient pas. On a alors pu remercier Hari, notre ingénieur du son, qui m’a trouvé un bon son extérieur avec seulement un seul microphone.
Nirankush a eu ce que toute bonne production doit avoir : des défis complètement imprévisibles que l’on doit simplement surmonter. Tout le film a été le fruit du travail d'une équipe forte et engagée, avec des amis qui ont travaillé très très dur sur la production.
Est-ce que vous pensez que le fait d’être femme joue un rôle en tant que réalisatrice ? Etes-vous plus sensible aux questions de féministes ou un réalisateur homme pourrait faire le même travail?
Je ne pense pas. Je pense que Nirankush entre les mains d’un homme sensible à ce problème ferait un travail aussi bon.
En Europe, on a eu des informations à propos du cas de viol à Delhi en décembre. Quel regard portez-vous sur la position et la situation des femmes en Inde aujourd’hui ? Pourriez-vous la comparer à celle d’une autre société ? Je pense que dans le monde entier les femmes doivent lutter pour leurs droits. La société indienne d'aujourd'hui est en plein changement sur des questions comme le respect de la loi, l’ordre, les dynamiques de genre et les attitudes envers les femmes, le manque de respect pour la diversité, mais aussi tous les niveaux d’exploitation et de corruption. Tous ces éléments sont des symptômes d'une société en crise. Aujourd'hui, les femmes n’ont pas beaucoup d'espaces où elles peuvent être elles-mêmes, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique. Et au coeur de tout cela, il y a la structure de pouvoir et la violence actuelle est due à l’extension de la structure patriarcale.
Avez-vous fait des projets en Europe où en France en particulier ? Ou d’autres projets futurs ?
Ça fait des années que je pense à faire de plus grands films. Mon dernier projet en Europe était sur un atelier de scénario sur internet - EU-India Media Meeting Place- organisé par l'Institut du film Magica à Rome et Satyajit Ray Film Institute où j'ai écrit un scénario qui se déroule à Paris et à Delhi. Il a reçu le prix du meilleur scénario assorti d’un voyage tous frais payés à Rome et à Paris. J'ai rencontré des producteurs européens pour leur présenter mon scénario mais rien ne s'est concrétisé. S'il y avait des opportunités, j’aimerais faire un film en partenariat.
Nirankush sera projeté pour la première fois en France pendant le festival Saison Indienne. Qu’aimeriez-vous transmettre aux spectateurs ? Qu’auriez-vous à dire à ceux qui vont découvrir votre film ?
C'est un film qui vient du cœur. Alors regardez-le avec votre cœur !
(Donc le film sera diffusé le 17 avril à 19h à l'ESAV Toulouse)
(Donc le film sera diffusé le 17 avril à 19h à l'ESAV Toulouse)
India By Song
... Projection à l'ESAV, le 17 avril à 20 heures...
Filmographie
One Dollar Curry - 2004
Jaya Ganga (Jaya, Fille du Gange) - 1998
Man and Elephant - 1990
Le documentaire de Vijay Singh sur l'Inde contemporaine, à travers huit chansons emblématiques, est à découvrir à travers le site dédié : http://www.indiabysong.com.
Né
en Inde en 1952, Vijay Singh est un romancier-cinéaste indien établi à
Paris. Après avoir étudié l'Histoire à New Delhi, il poursuit ses études
en France et entreprend un doctorat à l'Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales, Paris. Après avoir écrit et mis en scène une pièce de
théâtre, En Attendant Beckett par Godot (1976), il a réalisé un
documentaire intitulé Homme et Eléphant (Man and Elephant) (26') en 1989
qui a d’abord été diffusé sur Canal+, puis sur plus d’une centaine de
chaînes de télévision à travers le monde. En 1996, il a réalisé Jaya,
Fille du Gange, son premier long-métrage, qui a été sélectionné en
compétition officielle au Festival des Films du Monde à Montréal.
Depuis, ce film a été projeté dans plus de 50 festivals internationaux,
souvent en catégorie "compétition". Jaya Ganga (Jaya, Fille du Gange)
est sorti dans les salles en France en 1998 où il est resté 49 semaines à
l'affiche. Le film a eu le même succès en Angleterre où il est sorti
dans plus de 75 villes. One Dollar Curry, son deuxième long métrage très
bien accueillie par la presse et le public également, est sorti en
France, en Inde et en Angleterre. Il travaille actuellement sur son
prochain film tiré de son roman Tourbillon d’Ombres. Parallèlement, il
se prépare pour tourner prochainement un film intitulé India by Song.
Vijay Singh est lauréat du Prix Villa Médicis hors les Murs et a reçu La
Titine, prix du meilleur film pour Homme et Eléphant.
One Dollar Curry - 2004
Jaya Ganga (Jaya, Fille du Gange) - 1998
Man and Elephant - 1990
Démonstration de danse indienne kalbelia...
Sarah Avril et ses élèves proposeront une
démonstration de danse indienne kalbelia dans le cadre de la première édition
du festival « Saison Indienne ».
Cette danse populaire originaire du Rajasthan au
nord ouest de l’Inde est pratiquée
traditionnellement par la communauté kalbelia, communauté nomade de charmeurs
de serpents aujourd’hui en partie sédentarisée.
Danse
gitane, ludique, expressive, dynamique, tournoyante..., la danse kalbelia, en
perpétuelle innovation, puise son inspiration à la fois dans les traditions
populaires, dans les formes classiques de l’art indien et dans les
chorégraphies festives du Bollywood.
Ethnologue de formation, Sarah Avril effectue plusieurs voyages en Inde où
elle est initiée à la danse kalbelia et se lie d’amitié avec des personnes de
la communauté. Imprégnée profondément par cette
danse, formée au flamenco, à la danse orientale, à la danse contemporaine et au
yoga, elle développe son propre langage gestuel, laissant libre cours à
l’imagination et à l’improvisation.
Fort
nourrie de cette riche expérience en Inde, elle transmet sa joie de danser
depuis plus de 10 ans en animant des cours, des stages et des spectacles dans
toute la France et à l’étranger, développant peu à peu une pédagogie ludique
adaptée à sa pratique.
Accompagnée par ses
élèves pour cette occasion: Lorenne, Coralie, Emilie, Lucie, Aurélie et
Neva, Sarah et ses danseuses proposeront trois danses originaires du Rajasthan :
le Ghoomar (danse de femmes en cercle), la danse du voile (chorégraphie de
groupe inspirée du Kalbelia) et un solo d’improvisation en danse kalbelia.
Rendez-vous le samedi 20 avril en début de soirée au cinéma ABC, juste avant la projection du film Om Shanti Om (démonstration gratuite pour les spectateurs munis de leur ticket ou de leur pass).
April 12, 2013
Puttandou Vajttoukkal
Saison Indienne à Toulouse souhaite une très heureuse année 5114 à tous les Tamouls... et à tous les autres. En ce 14 avril, notre festival vous propose deux films à l'ABC, notamment le film tamoul de S. Shankar, Nanban, remake du fameux 3 Idiots. La projection est prévue à 17 heures. Puis, à 20h30, vous pourrez voir The Dirty Picture, de M. Luthria, un des films indiens les plus importants de 2011.
March 31, 2013
La Saison Indienne à Toulouse en vidéo...
Retrouvez la bande annonce officielle du festival et le reportage réalisé par France 3 (Journal télévisé, à partir de 4'30).
March 30, 2013
Raj Kapoor ou l'invention du Charlot indien
Film projeté le mardi 16 avril, à 20h30, à l'ESAV.
Shree 420 (Raj Kapoor, 1955) raconte l'histoire de Raju, le personnage du déclassé inventé par Raj Kapoor dans son film Awaara (« Le Vagabond », 1951), quelques années plus tôt. Ici, l'influence exercée par Chaplin est encore plus nettement marquée que dans le film précédent : Raju porte le costume, le chapeau et la petite moustache de Charlot, avance avec un trottinement saccadé bien que la pellicule ne défile plus à 18 images par seconde, et certaines affiches du film, en hommage à The Kid, vont jusqu'à sélectionner le plan où Raju arrive à la ville, s'assoit sur le trottoir aux côtés d'un enfant des rues. À une époque où Bombay, dans l'effervescence de l'après-guerre, draine par son dynamisme une forte population d'étrangers, Raju, comme des millions d'autres, quitte son village, attiré par les lumières de la ville. Il croit que travailler dur le sortira de la misère. À Bombay, il découvre l'amour, en la personne de Vidya (le nom signifie « connaissance »), institutrice pauvre mais honnête, avec qui il partage thé et parapluie sous la pluie. S'il a en poche un diplôme et son premier prix d'honnêteté, il fait très rapidement l'expérience des mensonges et illusions de la vie citadine : dans cet univers, seule la tricherie, réprimée par l'article 420 du code civil, rapporte richesse et pouvoir. Raju devient « Shree 420 », c'est-à-dire « Monsieur 420 », le roi de la fraude. Ayant mis en gage sa médaille d'honnêteté (imam), il se fait embaucher par des escrocs pour tricher aux cartes avant de passer à des fraudes plus conséquentes. Il quitte le trottoir partagé avec ses frères pauvres migrants sans emploi, souvent livrés à la petite délinquance, pour fréquenter l'univers décadent de l'hôtel Taj, où règne la vampe Mayadevi (« Maya » signifie « Illusion »)…
L'invention d'un cinéma populaire…
Dans les années 50, le cinéma de Raj Kapoor n'est que peu voire pas diffusé en France. On lui préfère les films de Satyajit Ray, découverts au même moment. La critique de l'époque, pourtant éprise de néo-réalisme, n'est pas séduite par ce cinéma populaire aux sujets sociaux. Elle n'y lit qu'une vision trop sirupeuse des conflits de classe ainsi qu'un rapport bien trop vague avec la réalité : les riches sont des escrocs plutôt que des oppresseurs, les « opprimés » de simples «bernés». Dans les films de Raj Kapoor, l'on se satisfait d'une prise de conscience fort douce au terme de laquelle les méchants sont gentiment grondés. La critique sociale y est trop molle et la peinture de la fange urbaine plus simpliste que réaliste. On ne peut guère parler de réalisme, en effet, quand la ville se réduit à un riche propriétaire ventripotent sans scrupule, dont la voiture porte l'immatriculation 840, pour le désigner comme étant le véritable « Monsieur 420 », le double 420 donc le super escroc, quand la ville se limite à une gentille maîtresse d'école enseignant aux enfants des bidonvilles, à de pauvres dormeurs des trottoirs, à une vampe occidentalisée, à une marchande au grand cœur, la « Lady Dilwali Kelewali ». Quant à Bombay, elle est reconstruite en studios. La cause du peuple ne semble pas pouvoir être défendue par un cinéma aussi schématique. Pourtant, en Inde, le succès est immense, immédiat. Les films de Raj Kapoor rencontrent même une immense notoriété en Iran, en Syrie, Irak, Égypte, Turquie et le succès gagne l'URSS entière. On adore ce film où l'on voit mêlées amère satire politique, comédie, histoire d'amour et, de l'Oural à la Caspienne jusqu'à la Roumanie, on reprend en chœur les chansons du film, les voix de Lata Mangeshkar et Mukesh traversent les frontières, on adore ces films où tous les registres (le sujet de société, le gag, les chants et danses, le film de bandits, l'imagerie populaire…) se fondent en une grande fête collective.
…aux sujets sociaux
L'originalité de Raj Kapoor consiste sans doute à inventer un cinéma populaire qui propose un spectacle total mêlant à la « romance » les questions sociales de l'Inde de Nehru. Sur une affiche du film[1], le tambourin, que Raju tient quand il chante pour les pauvres des rues, porte l'inscription « Bringing laughter and joy to every one ». Raju est représenté entre deux femmes, Nargis de profil au premier plan et, dans le fond, Nadira esquissant un pas de sa danse voluptueuse et envoûtante. Il s'agit de s'adresser aux masses, de distraire les foules tout en partageant l'enthousiasme de participer à l'aventure de la jeune République.
Les deux premières décennies qui suivent l'Indépendance de l'Inde en 1947 constituent d'âge d'or du cinéma indien. L'idéalisme inspire les dirigeants et les cinéastes. On sait que tous les problèmes ne seront pas résolus du jour au lendemain mais le sentiment du neuf, d'un nouveau départ, habite les films. Raj Kapoor parvient à mêler magie lyrique, photogénie, chansons et personnages jeunes en marche, en rébellion contre les lois de l'époque, personnages habités par une énergie, par un combat. Ce combat est parfois naïf ou schématique (combat entre la concupiscence et l'amour dans Barsaat, chaque théorie du désir symbolisée par l'un des deux hommes du film ; combat entre l'idée d'une vertu transmise par l'environnement ou d'une vertu donnée par la naissance dans Awaara ; combat entre la connaissance et l'illusion dans Shree 420, etc.). Mais, dans les films populaires des années 50, les thématiques liées à la vie urbaine font irruption : dans Awaara (Le Vagabond, 1951) la ville à la fois fascine et repousse ; Pyaasa (L'Assoiffé, 1957), film de Guru Dutt, rejette l'irréalité de la vie urbaine… Sont alors fabriqués des topoï du cinéma hindi : l'extrême pauvreté des zones rurales, le sacrifice héroïque entre amis, la dénonciation d'une société citadine assez corrompue… Raj Kapoor, peut-être plus que ses contemporains, parvient à entremêler les thématiques sociales, voire socialisantes, et les recettes du succès populaire. Probablement tire-t-il profit du milieu intellectuel assez politisé qu'il a pu fréquenter grâce à son père. Raj, en effet, est d'abord connu comme étant le fils de Prithviraj Kapoor, homme de théâtre à la tête d'une compagnie fort active, la Prithvi Theatres qu'il a montée en 1944. Ce dernier participe à la fondation de l'Indian People’s Theatre Association (IPTA), organisation gauchiste formée en 1942, dont l'objectif est de transmettre au public une certaine conscience politique. Aux réunions du groupe participe entre autres Khwaja Ahmad Abbas, écrivain marxiste qui tient sans interruption pendant 46 ans, dans différents journaux, une chronique hebdomadaire, intitulée « Dernière page », où il parle de politique ou bien critique des films. Le cinéma qui intéresse le groupe est celui de Poudovkine, l'expressionnisme allemand, le néo-réalisme italien ou encore les films de Chaplin et de Capra. Raj Kapoor est plus jeune de huit ou dix ans que ce groupe formé de Shankar, à l'origine joueur de tabla, et Jaikishen, joueur d'harmonium (que l'on retrouve, comme compositeurs, aux génériques de ses films), d'Abbas et de Sathe, un brahmin maharashtrien érudit. S'il n'est pas vraiment investi dans une idéologie particulière et n'est que vaguement progressiste, il prend l'habitude de venir écouter ses aînés discuter politique, plans pour le développement de l'ITPA, ainsi que mouvement de libération alors en pleine effervescence. Il subit l'influence d'Abbas qui, lui, est un marxiste convaincu. K.A. Abbas est fasciné par le film de V. Shantaram, Duniya na Mane (1937), dans lequel l'héroïne refuse le mariage arrangé avec un homme âgé. Il en adore les angles de caméra, le style métaphorique, l'audace du sujet. Il passe lui-même à la réalisation, en 1946, avec Dharti Ke Lal (« Les enfants de la terre ») et dénonce la famine artificiellement créée en 1943 au Bengale. Le film n'a rien d'un chef d'œuvre mais se démarque des productions de l'époque, avides seulement de trouver une audience. La collaboration entre Raj Kapoor et Abbas se fait naturellement et Abbas écrit le scénario de Awaara, peut-être le meilleur film de Raj Kapoor, où se dessine un cinéma amoureux des images et de la lumière. Le nœud de l'intrigue captive le jeune cinéaste qui veut que ce soit son père qui interprète ce juge abandonnant sa femme et son enfant et se retrouvant en position de juger son propre fils, élevé par un bandit. C'est peut-être moins la question théorique de savoir si les choix éthiques d'un individu dépendent de sa naissance ou de sa situation que l'envie d'affronter son père qui motive Raj dans l'aventure de ce film, ainsi que le pur plaisir de faire tourner dans la lumière ce couple de cinéma formé avec Nargis. Commence ainsi une longue collaboration avec Khwaja Ahmed Abbas, qui signe le scénario de Shree 420, ceux de Bobby (Un conflit de classes sociales sert d'arrière-fond à une histoire d'amour) et de Mera Naam Joker (Autoportrait de l'artiste en clown…).
La formule qui fait recette dans le cinéma de ces années-là est « une star, six chansons, trois danses » Le sujet du film doit être une « romance » et l'histoire habituellement déroulée est une histoire d'amour où l'obstacle n'est jamais un problème social… Certes, on l'a dit, l'idéalisme de Raj Kapoor reste assez naïf, l'idéologie se limite à une bonne conscience un peu sirupeuse. Les femmes qui portent des bassines sur leur tête au début de Shree 420 n'ont rien de damnées de la terre mais traversent la route en riant… L'histoire ne raconte pas une révolution, même si la disparité des conditions est soulignée, même si l'on montre que les riches corrompus ont tout pouvoir alors que les travailleurs pauvres et honnêtes ont faim. À la fin du film, le status quo social est maintenu [2]
Toutefois, ce Charlot indien inventé avec Abbas introduit dans ce monde urbain reconstitué en studio un soupçon de conscience sociale ; une fissure se dessine dans l'univers factice reconstruit par l'usine à rêves de Bombay… toute une jeunesse victime des préjugés s'identifie avec ce personnage. Cet awaara, ce « vagabond » inventé par le tandem K.A. Abbas et Raj Kapoor, capte inconscient collectif de façon aussi puissante que l'avait fait Devdas. Dans ces années-là, Raj Kapoor devient une véritable légende, un mythe vivant. Il incarne l'homme qui dévoue sa vie au cinéma, qui confond sa vie avec le cinéma. En lui fusionnent un personnage, un acteur, un réalisateur, qui tous portent le même nom, Raj. Ses premières créations, Aag mais surtout Barsaat, Awaara et Shree 420, fabriquent le mythe et ce mythe est fondé sur une double invention, celle d'un couple, celui formé avec Nargis, autre star du cinéma, et celle d'un personnage incarnant l'homme ordinaire maltraité par la société.
Une vie de cinéma
Plaire au public, c'est inventer une famille de cinéma et faire du cinéma une famille. Raj Kapoor (1924-1988) naît à Peshawar, dans une famille de gens du spectacle. Son père lui fait mener une vie de Bohème, de Dehradun à Bombay en passant par Calcutta… Raj commence à jouer très jeune, interprétant des petits rôles, que ce soit dans des pièces de théâtre ou même, dès 1935, dans des films. Il exerce toutes sortes de métiers liés au spectacle (il occupe le poste d'assistant technique pour la troupe de son père, travaille comme clapman dans les studios de Bombay, etc.) et c'est tout naturellement qu'il en vient à la réalisation en 1947 avec Aag (Le feu). Par ailleurs, il connaît son premier succès d'acteur aux côtés de Nargis, en 1949, dans un film de Mehboob Khan, Andaz. En 1947, il fonde son propre studio de cinéma, R.K. Studios, à Chembur, un faubourg de Bombay, et sa propre maison de production, R.K. Films.
Raj Kapoor est considéré comme le « real showman » du cinéma indien, non seulement parce qu'il fait de sa vie du cinéma (Mera Nam Joker prend comme sujet sa propre vie), parce qu'il est réalisateur, acteur, producteur de ses films, mais surtout parce que le cinéma est chez lui une histoire de famille… Les enfants qui passent dans le fond du plan, lors de la scène du parapluie, sont ses propres enfants. Il ne cesse de brouiller la frontière entre sa vie et celle des personnages de ses films. Dans Awaara, le père de Raj Kapoor, incarne le juge, père du vagabond Raj, joué par Raj Kapoor lui-même, son fils dans la vie et dans le film. Une œuvre ultérieure assemble trois générations de Kapoor : en 1971, Kal Aaj Aur Kal, drame familial, met en scène le fils aîné, Randhir, qui joue aux côtés de Raj et de Prithviraj Kapoor. La lignée se poursuit et l'on en est à la génération des petits-enfants… Que le cinéma soit une histoire de famille et, d'une certaine façon, rejoue l'histoire d'une famille participerait-il au succès du personnage ?
On va voir les films de Raj Kapoor parce qu'on veut revoir les amours d'un couple de cinéma, celui formé par Nargis et Raj, un couple au magnétisme surprenant. Nargis, née Fatima Rashid en 1929, de père hindou et de mère musulmane, est en effet une femme de tête, très grande, large d'épaules, et Raj Kapoor est un homme plus petit. La paire ne cesse de mettre en scène l'attraction qui les attire l'un vers l'autre. C'est Mehboob, dans Andaz, en 1949, qui le premier associe les deux acteurs et offre à Raj Kapoor son premier succès. La paire apparaîtra dans 17 films. Dans les films de Raj Kapoor, le personnage joué par Nargis franchit des rivières et disparaît emporté par la furie des flots, traverse les couloirs des prisons, toujours se précipite pour se jeter dans les bras ou aux pieds de son amant… Quand le couple chante sous la pluie, tout est fait pour amener au baiser, le couple ne se lâche pas des yeux, se rapproche et qu'il ne peut pas y avoir d'autre issue que le baiser, le parapluie vient habilement le dérober à la vue.
L'invention d'un cinéma généreux et lyrique : le cinéma masala des origines
Raj Kapoor crée un lyrisme cinématographique qui laisse sa trace sur le cinéma populaire indien. Qu'il s'agisse des chansons, des couples rapprochés par les trombes d'eau, des bourrasques qui font voler au vent cheveux, dupattas ou saris, ces motifs deviennent des topoï du cinéma indien[3]. Raj Kapoor les mêle à un idéalisme naïf gagné parfois par un élan épique : la chanson de Raju, quand il se prépare à vagabonder 420 km en direction de Bombay et qu'une grosse voiture le laisse sur le bord de la route, fait figure d'hymne pour cette foule silencieuse et stoïque qui part avec lui vers Bombay à dos de chameaux… Raju devient le porte-voix de ces masses opprimées…
Le lyrisme cinématographique pratiqué par Raj Kapoor dans ses premiers films est un lyrisme fondé sur la photogénie et sur le plaisir de la lumière. Rappelons à nouveau que Raj Kapoor a été clapman aux Bombay Talkies, ce studio fondé par Himanshu Rai, qui avait travaillé avec Franz Osten et Fritz Lang. Le directeur de la photo de Franz Osten, Joseph Wirsching, était resté en Inde. L'influence de l'expressionnisme allemand est fortement marquée dans le goût pour les forts contrastes de lumière, dans le choix fréquent du contrejour, dans ces atmosphères de pavés mouillés la nuit, ces gros plans auréolés. Le plaisir de l'image est manifeste dans les premiers films de Raj Kapoor. Que ce soit dans Aag (son premier film en 1947) ou dans Barsaat, le cinéaste expérimente une profondeur de champ inspirée de Citizen Kane, avec le point conservé sur le visage au premier plan et sur le personnage qui, à l'arrière plan, apparaît. La photogénie du noir et blanc est très marquée dans Barsaat et dans Awaara. Dans Barsaat, le montage alterné atteint une abstraction proche de celle d'Eisenstein, l'eau tumultueuse est montée avec des gros plans du visage effilé du père de l'héroïne, plans qui ne peuvent pas ne pas évoquer Ivan le Terrible. Les influences et emprunts sont multiples, on croit reconnaître du Charlie Chaplin, la minute suivante on bascule dans un film russe, des éclairages imitent l'expressionnisme allemand, mais la magie opère et le spectateur est tout entier au plaisir de voir ce couple Nargis-Raj ne cesser, d'un film à l'autre, de se perdre et de se retrouver, couple que l'on ne cesse de faire tourner dans la lumière et les ombres.
Au plaisir de la lumière se mêle le plaisir de discourir sur la société de façon manichéenne. Les films multiplient les oppositions binaires, les personnages stéréotypés : Shree 420 oppose la sainte et la vampe, Barsaat s'amuse à distinguer entre la prostituée qui prostitue son amour ou ce qu'elle appelle amour et celle qui, mère, fait commerce de son corps pour nourrir son enfant. Le schématisme se retrouve parfois dans les oppositions qui séparent des groupes de personnages : Raju et Vidaya représentent une Inde des valeurs traditionnelles. La tentatrice, au costume et aux danses occidentalisés, chante pour séduire Raju : « murh murh ke na dekh » (« ne regarde pas en arrière ») et enlève Raju à Vidya, en une victoire momentanée du cynisme. Plus tard, c'est au tour de Vidya de chanter une chanson suppliant son amant de se retourner vers elle. Le principe des symétries gouverne aussi la construction des films : les scènes de danses des pauvres des rues se font écho à travers le film, la chanson mera joota qui accompagne Raju lors de son départ pour la ville est reprise à la fin du film quand, en compagnie de Vidya, il retourne à la campagne.
Inventer un cinéma populaire, s'adresser à l'homme de la rue, c'est aussi, pour Raj Kapoor, donner à rêver. Awaara comprend une séquence de rêve, avec des effets de trucages, de surimpressions, de décalages d'échelles. Dans Shree 420 et dans d'autres films, le rêve peut, plus modestement, se retrouver dans la volonté de distraire le spectateur par la nouveauté, par la bigarrure, le dépaysement. Des détails inspirés par Hollywood sont intégrés dans le film, que l'on songe au nightclub, aux rythmes latino-américains, au jazz, à des expressions anglaises, au whisky, ou même à l'auto stop au début de Shree 420. La musique devient hybride. Raju porte un complet veston occidental…
L'invention du Charlot indien
Inventer un cinéma populaire, s'adresser aux foules, c'est surtout inventer un personnage dans lequel l'homme de la rue puisse se projeter. Raj Kapoor participe avec Dilip Kumar et Dev Anand à l'avènement du star-system en Inde. Les trois acteurs incarnent des personnages jeunes et les jeunes gens vont s'identifier à ces stars. Toutefois, l'originalité de Raj Kapoor tient probablement à cette figure du Charlot indien, vagabond qu'il fait apparaître pour la première fois dans Awaara, pauvre au cœur d'or, malmené par la société, et qui, malgré les larmes, rit toujours. http://www.youtube.com/watch?v=VY1pWTek2sY
Si l'influence de Chaplin est très visible (on peut citer la démarche, le costume de Raju ou même certaines affiches de Shree 420 représentant Raju assis aux côtés d'un enfant sur le trottoir, en hommage au Kid de Chaplin), le personnage de Raj, qui s'enrichit de la mémoire des films de Raj Kapoor lui-même, capte également tout un inconscient collectif masculin. Les jeunes gens qui s'estiment victimes des préjugés et de l'hypocrisie de la société se reconnaissent en lui comme avait pu le faire le personnage de Devdas quinze années plus tôt. Gayatri Chatterjee n'hésite d'ailleurs pas, dans son ouvrage consacré à Awaara[4], à rapprocher les deux personnages et à voir dans le Raj des films de Kapoor (le nom est tantôt Raj, tantôt Raju) le jeune urbain masculin autodestructeur né avec le Devdas de P.C. Barua, archétype de ce « jeune homme en colère » des années 70, incarné par Amitabh Bachchan dans Sholay. Ce personnage n'est pas que simple naïveté gentille et clownesque, Gayatri Chatterjee y lit des accents de désespoir, une mélancolie amplifiée par les chansons écrites par Shailendra, chansons que Ashraf Aziz[5] va jusqu'à qualifier de « poésie du suicide ». À la différence de Devdas toutefois, le personnage de Raj n'est pas habité de ce seul désespoir social mais il est hanté par une puissance comme purement imaginaire ou fantasmatique. Raj est formée de la vie du cinéaste et de l'histoire imaginaire des personnages des films, tout se mêle en une réalité d'images, en une force proche de l'étoffe dont sont tissés nos rêves… tout se mêle en une matière qui se transforme, condense et déplace, tout devient un rêve de cinéma. Je crois que pour dire « regarder un film », on dit en hindi « sapna dekna » : regarder un rêve. L'une des caractéristiques les plus originales du cinéma de Raj Kapoor est peut-être ainsi de créer des échos ou des continuités d'un film à l'autre. Ainsi le motif du visage baigné de larmes de joie revient-il dans Barsaat, dans Awaara (et l'on peut rappeler que l'un des logos de la maison de production de Raj Kapoor est cette juxtaposition des deux masques, celui de la tragédie et celui de la comédie) et les chansons vont même jusqu'à citer les films précédents. Gayatri Chatterjee[6] rappelle que dans les paroles d'une chanson se rejoignent les voix des personnages et celle du cinéaste. Quand l'acteur chante : « Mon cœur se consume et devient un feu/ Les larmes coulent et les pluies arrivent/ J'étais un vagabond comme ces nuages/ Et j'ai ri et j'ai pleuré », il entrelace les titres des trois premiers films du réalisateur (Aag, le feu ; Barsaat, les pluies, Awaara, le vagabond) et juxtapose les larmes et la joie. Raj Kapoor rêve d'un cinéma total, un cinéma où la vie, la famille, les films s'enlacent dans un mouvement sans cesse relancé, il rêve d'un cinéma qui épouse la force du désir. Et c'est probablement cette énergie du rêve qui fait naître un personnage auquel s'identifie l'homme de la rue.
L'éternel migrant…
Mais peut-être faut-il enfin aborder un des ressorts les plus puissants de la magie opérée par les films de Raj Kapoor : le rôle de la musique et des chansons, qui résonnent si profondément dans la mémoire indienne. On attribue au cinéaste l'introduction du principe d'une chanson thème qui court tout au long du film. Très souvent, le refrain joue le rôle de porte-voix d'une communauté et l'on reprend le style traditionnel des ghazals, des bhajans. Non seulement les chansons prolongent voire remplacent le dialogue (ainsi en est-il de la chanson partagée sous le parapluie, chanson par laquelle Vidya et Raju se déclarent leur amour) et jouent un rôle narratif primordial mais encore semblent-elles capables de dire quelque chose d'une identité indienne. Chansons de la nostalgie, chansons de l'éternel vagabond, chansons de ce peuple qui, à la Partition, a vu de longues kafila traverser le pays[7], des décennies plus tard, ces chansons consolent encore de ses malheurs et frustrations l'homme de la rue[8].
http://www.youtube.com/watch?v=5wjGc1zGWBc
« Awaara hum » (Awaara) et « Ichak dana bichak dana », « Mere joota hai Japani », selon Reuben [9] atteignent presque le statut d'hymne national indien quand les films voyagent en URSS et dans les autres pays. Les chansons du film sont transportées par Lata Mangeskar et Mukesh dans la mémoire populaire indienne. Les paroles : Mera joota hai Japani/ Yeh patloon hai inglistani / Sar pe lal topi roosi/ Phir bhi dil hai Hindustani[10] se trouvent sur les lèvres de l'archange Gibreel, héros explosé en plein vol qui les chantonne comme une chanson devenue l'hymne de l'éternel migrant. L'archange Gibreel, explosé en plein vol au début des Versets sataniques de Rushdie : un vol Air India qui, comme par hasard, porte le numéro AI 420 emporte en sa chute vertigineuse, dans un poudroiement de débris, la chanson de celui qui n'a rien à lui mais seulement un cœur indien… La chanson Mera joota hai Japani dans Shree 420 accompagne Raju dans sa longue marche, marche où une longue file de gens des campagnes le rejoint, file qui réveille la mémoire refoulée et douloureuse des kafila. Mera joota hai Japani épouse la psyché collective et parvient à véhiculer de façon très aiguë un moment de l'histoire populaire indienne, à s'ancrer dans une histoire symbolique. Porteuse des rêves du « common man », elle devient l'hymne de ce pauvre honnête qui quitte son village pour se perdre dans la violence et la fourberie de la ville, elle dit les espoirs de cet homme des foules, cet homme du commun aux espoirs naïfs. Chantée par Raju, qui d'abord marche seul avant d'être transporté par une foule silencieuse, elle est reprise en duo avec Vidya lors du dénouement, et forme une boucle infinie qui continue de résonner dans la mémoire de tous les migrants, de tous les damnés du long chemin.
Colette Mazabrard, Toulouse, 2013.
[1] . Frames of Mind, Reflections on Indian cinema, édité par Aruna Vasudev, New Delhi, 1995, p.41
[2] Indian Popular cinéma-a narrative of cultural change, p.18, K.Moti Gokulsing and Wimal Dissanayake, Orient Longman, New Delhi, 1998
[3] Indian Popular cinéma-a narrative of cultural change, p.18, K.Moti Gokulsing and Wimal Dissanayake, Orient Longman, New Delhi, 1998, p.95. Les traits caractéristiques du cinéma populaire indien seraient pas l'absence de véritable réalisme, des acteurs qui ont tendance à surjouer, une propension au mélodramatique, une utilisation de la caméra souvent tape-à-l'œil sans aucune discrétion, des personnages et situations stéréotypés, une place centrale accordée à la musique, des chansons qui influencent le déroulement de l'action, des danses servant à intensifier les émotions, souvent très suggestives alors que le baiser est censuré.
[4] Je me permets de renvoyer à mon article sur Devdas.
[5] Ashraf Aziz, Light of the Universe, essays on Hindustani Film music, Three Essays collective, New Delhi 2003
[6] Gayatri Chatterjee, Awaara, PenguinBooks India, New Delhi, 2003, p.114
[7] Urvashi Butalia raconte ces longues colonnes de personnes déplacées qui se croisaient lors de la Partition de l'Inde, traversant le pays pour gagner l'état auquel leur religion les assignait.
[8] Raj Kapoor, the fabulous showman, biography par Bunny Reuben, HarpersCollins Publishers, New Delhi, 1995, p.79
[9] Raj Kapoor, the fabulous showman, biography par Bunny Reuben, HarpersCollins Publishers, New Delhi, 1995
[10] (« Mes chaussures sont japonaises, ces pantalons anglais, ce chapeau rouge russe, mais mon cœur est toujours indien »)
Shree 420 (Raj Kapoor, 1955) raconte l'histoire de Raju, le personnage du déclassé inventé par Raj Kapoor dans son film Awaara (« Le Vagabond », 1951), quelques années plus tôt. Ici, l'influence exercée par Chaplin est encore plus nettement marquée que dans le film précédent : Raju porte le costume, le chapeau et la petite moustache de Charlot, avance avec un trottinement saccadé bien que la pellicule ne défile plus à 18 images par seconde, et certaines affiches du film, en hommage à The Kid, vont jusqu'à sélectionner le plan où Raju arrive à la ville, s'assoit sur le trottoir aux côtés d'un enfant des rues. À une époque où Bombay, dans l'effervescence de l'après-guerre, draine par son dynamisme une forte population d'étrangers, Raju, comme des millions d'autres, quitte son village, attiré par les lumières de la ville. Il croit que travailler dur le sortira de la misère. À Bombay, il découvre l'amour, en la personne de Vidya (le nom signifie « connaissance »), institutrice pauvre mais honnête, avec qui il partage thé et parapluie sous la pluie. S'il a en poche un diplôme et son premier prix d'honnêteté, il fait très rapidement l'expérience des mensonges et illusions de la vie citadine : dans cet univers, seule la tricherie, réprimée par l'article 420 du code civil, rapporte richesse et pouvoir. Raju devient « Shree 420 », c'est-à-dire « Monsieur 420 », le roi de la fraude. Ayant mis en gage sa médaille d'honnêteté (imam), il se fait embaucher par des escrocs pour tricher aux cartes avant de passer à des fraudes plus conséquentes. Il quitte le trottoir partagé avec ses frères pauvres migrants sans emploi, souvent livrés à la petite délinquance, pour fréquenter l'univers décadent de l'hôtel Taj, où règne la vampe Mayadevi (« Maya » signifie « Illusion »)…
L'invention d'un cinéma populaire…
Dans les années 50, le cinéma de Raj Kapoor n'est que peu voire pas diffusé en France. On lui préfère les films de Satyajit Ray, découverts au même moment. La critique de l'époque, pourtant éprise de néo-réalisme, n'est pas séduite par ce cinéma populaire aux sujets sociaux. Elle n'y lit qu'une vision trop sirupeuse des conflits de classe ainsi qu'un rapport bien trop vague avec la réalité : les riches sont des escrocs plutôt que des oppresseurs, les « opprimés » de simples «bernés». Dans les films de Raj Kapoor, l'on se satisfait d'une prise de conscience fort douce au terme de laquelle les méchants sont gentiment grondés. La critique sociale y est trop molle et la peinture de la fange urbaine plus simpliste que réaliste. On ne peut guère parler de réalisme, en effet, quand la ville se réduit à un riche propriétaire ventripotent sans scrupule, dont la voiture porte l'immatriculation 840, pour le désigner comme étant le véritable « Monsieur 420 », le double 420 donc le super escroc, quand la ville se limite à une gentille maîtresse d'école enseignant aux enfants des bidonvilles, à de pauvres dormeurs des trottoirs, à une vampe occidentalisée, à une marchande au grand cœur, la « Lady Dilwali Kelewali ». Quant à Bombay, elle est reconstruite en studios. La cause du peuple ne semble pas pouvoir être défendue par un cinéma aussi schématique. Pourtant, en Inde, le succès est immense, immédiat. Les films de Raj Kapoor rencontrent même une immense notoriété en Iran, en Syrie, Irak, Égypte, Turquie et le succès gagne l'URSS entière. On adore ce film où l'on voit mêlées amère satire politique, comédie, histoire d'amour et, de l'Oural à la Caspienne jusqu'à la Roumanie, on reprend en chœur les chansons du film, les voix de Lata Mangeshkar et Mukesh traversent les frontières, on adore ces films où tous les registres (le sujet de société, le gag, les chants et danses, le film de bandits, l'imagerie populaire…) se fondent en une grande fête collective.
…aux sujets sociaux
L'originalité de Raj Kapoor consiste sans doute à inventer un cinéma populaire qui propose un spectacle total mêlant à la « romance » les questions sociales de l'Inde de Nehru. Sur une affiche du film[1], le tambourin, que Raju tient quand il chante pour les pauvres des rues, porte l'inscription « Bringing laughter and joy to every one ». Raju est représenté entre deux femmes, Nargis de profil au premier plan et, dans le fond, Nadira esquissant un pas de sa danse voluptueuse et envoûtante. Il s'agit de s'adresser aux masses, de distraire les foules tout en partageant l'enthousiasme de participer à l'aventure de la jeune République.
Les deux premières décennies qui suivent l'Indépendance de l'Inde en 1947 constituent d'âge d'or du cinéma indien. L'idéalisme inspire les dirigeants et les cinéastes. On sait que tous les problèmes ne seront pas résolus du jour au lendemain mais le sentiment du neuf, d'un nouveau départ, habite les films. Raj Kapoor parvient à mêler magie lyrique, photogénie, chansons et personnages jeunes en marche, en rébellion contre les lois de l'époque, personnages habités par une énergie, par un combat. Ce combat est parfois naïf ou schématique (combat entre la concupiscence et l'amour dans Barsaat, chaque théorie du désir symbolisée par l'un des deux hommes du film ; combat entre l'idée d'une vertu transmise par l'environnement ou d'une vertu donnée par la naissance dans Awaara ; combat entre la connaissance et l'illusion dans Shree 420, etc.). Mais, dans les films populaires des années 50, les thématiques liées à la vie urbaine font irruption : dans Awaara (Le Vagabond, 1951) la ville à la fois fascine et repousse ; Pyaasa (L'Assoiffé, 1957), film de Guru Dutt, rejette l'irréalité de la vie urbaine… Sont alors fabriqués des topoï du cinéma hindi : l'extrême pauvreté des zones rurales, le sacrifice héroïque entre amis, la dénonciation d'une société citadine assez corrompue… Raj Kapoor, peut-être plus que ses contemporains, parvient à entremêler les thématiques sociales, voire socialisantes, et les recettes du succès populaire. Probablement tire-t-il profit du milieu intellectuel assez politisé qu'il a pu fréquenter grâce à son père. Raj, en effet, est d'abord connu comme étant le fils de Prithviraj Kapoor, homme de théâtre à la tête d'une compagnie fort active, la Prithvi Theatres qu'il a montée en 1944. Ce dernier participe à la fondation de l'Indian People’s Theatre Association (IPTA), organisation gauchiste formée en 1942, dont l'objectif est de transmettre au public une certaine conscience politique. Aux réunions du groupe participe entre autres Khwaja Ahmad Abbas, écrivain marxiste qui tient sans interruption pendant 46 ans, dans différents journaux, une chronique hebdomadaire, intitulée « Dernière page », où il parle de politique ou bien critique des films. Le cinéma qui intéresse le groupe est celui de Poudovkine, l'expressionnisme allemand, le néo-réalisme italien ou encore les films de Chaplin et de Capra. Raj Kapoor est plus jeune de huit ou dix ans que ce groupe formé de Shankar, à l'origine joueur de tabla, et Jaikishen, joueur d'harmonium (que l'on retrouve, comme compositeurs, aux génériques de ses films), d'Abbas et de Sathe, un brahmin maharashtrien érudit. S'il n'est pas vraiment investi dans une idéologie particulière et n'est que vaguement progressiste, il prend l'habitude de venir écouter ses aînés discuter politique, plans pour le développement de l'ITPA, ainsi que mouvement de libération alors en pleine effervescence. Il subit l'influence d'Abbas qui, lui, est un marxiste convaincu. K.A. Abbas est fasciné par le film de V. Shantaram, Duniya na Mane (1937), dans lequel l'héroïne refuse le mariage arrangé avec un homme âgé. Il en adore les angles de caméra, le style métaphorique, l'audace du sujet. Il passe lui-même à la réalisation, en 1946, avec Dharti Ke Lal (« Les enfants de la terre ») et dénonce la famine artificiellement créée en 1943 au Bengale. Le film n'a rien d'un chef d'œuvre mais se démarque des productions de l'époque, avides seulement de trouver une audience. La collaboration entre Raj Kapoor et Abbas se fait naturellement et Abbas écrit le scénario de Awaara, peut-être le meilleur film de Raj Kapoor, où se dessine un cinéma amoureux des images et de la lumière. Le nœud de l'intrigue captive le jeune cinéaste qui veut que ce soit son père qui interprète ce juge abandonnant sa femme et son enfant et se retrouvant en position de juger son propre fils, élevé par un bandit. C'est peut-être moins la question théorique de savoir si les choix éthiques d'un individu dépendent de sa naissance ou de sa situation que l'envie d'affronter son père qui motive Raj dans l'aventure de ce film, ainsi que le pur plaisir de faire tourner dans la lumière ce couple de cinéma formé avec Nargis. Commence ainsi une longue collaboration avec Khwaja Ahmed Abbas, qui signe le scénario de Shree 420, ceux de Bobby (Un conflit de classes sociales sert d'arrière-fond à une histoire d'amour) et de Mera Naam Joker (Autoportrait de l'artiste en clown…).
La formule qui fait recette dans le cinéma de ces années-là est « une star, six chansons, trois danses » Le sujet du film doit être une « romance » et l'histoire habituellement déroulée est une histoire d'amour où l'obstacle n'est jamais un problème social… Certes, on l'a dit, l'idéalisme de Raj Kapoor reste assez naïf, l'idéologie se limite à une bonne conscience un peu sirupeuse. Les femmes qui portent des bassines sur leur tête au début de Shree 420 n'ont rien de damnées de la terre mais traversent la route en riant… L'histoire ne raconte pas une révolution, même si la disparité des conditions est soulignée, même si l'on montre que les riches corrompus ont tout pouvoir alors que les travailleurs pauvres et honnêtes ont faim. À la fin du film, le status quo social est maintenu [2]
Toutefois, ce Charlot indien inventé avec Abbas introduit dans ce monde urbain reconstitué en studio un soupçon de conscience sociale ; une fissure se dessine dans l'univers factice reconstruit par l'usine à rêves de Bombay… toute une jeunesse victime des préjugés s'identifie avec ce personnage. Cet awaara, ce « vagabond » inventé par le tandem K.A. Abbas et Raj Kapoor, capte inconscient collectif de façon aussi puissante que l'avait fait Devdas. Dans ces années-là, Raj Kapoor devient une véritable légende, un mythe vivant. Il incarne l'homme qui dévoue sa vie au cinéma, qui confond sa vie avec le cinéma. En lui fusionnent un personnage, un acteur, un réalisateur, qui tous portent le même nom, Raj. Ses premières créations, Aag mais surtout Barsaat, Awaara et Shree 420, fabriquent le mythe et ce mythe est fondé sur une double invention, celle d'un couple, celui formé avec Nargis, autre star du cinéma, et celle d'un personnage incarnant l'homme ordinaire maltraité par la société.
Une vie de cinéma
Plaire au public, c'est inventer une famille de cinéma et faire du cinéma une famille. Raj Kapoor (1924-1988) naît à Peshawar, dans une famille de gens du spectacle. Son père lui fait mener une vie de Bohème, de Dehradun à Bombay en passant par Calcutta… Raj commence à jouer très jeune, interprétant des petits rôles, que ce soit dans des pièces de théâtre ou même, dès 1935, dans des films. Il exerce toutes sortes de métiers liés au spectacle (il occupe le poste d'assistant technique pour la troupe de son père, travaille comme clapman dans les studios de Bombay, etc.) et c'est tout naturellement qu'il en vient à la réalisation en 1947 avec Aag (Le feu). Par ailleurs, il connaît son premier succès d'acteur aux côtés de Nargis, en 1949, dans un film de Mehboob Khan, Andaz. En 1947, il fonde son propre studio de cinéma, R.K. Studios, à Chembur, un faubourg de Bombay, et sa propre maison de production, R.K. Films.
Raj Kapoor est considéré comme le « real showman » du cinéma indien, non seulement parce qu'il fait de sa vie du cinéma (Mera Nam Joker prend comme sujet sa propre vie), parce qu'il est réalisateur, acteur, producteur de ses films, mais surtout parce que le cinéma est chez lui une histoire de famille… Les enfants qui passent dans le fond du plan, lors de la scène du parapluie, sont ses propres enfants. Il ne cesse de brouiller la frontière entre sa vie et celle des personnages de ses films. Dans Awaara, le père de Raj Kapoor, incarne le juge, père du vagabond Raj, joué par Raj Kapoor lui-même, son fils dans la vie et dans le film. Une œuvre ultérieure assemble trois générations de Kapoor : en 1971, Kal Aaj Aur Kal, drame familial, met en scène le fils aîné, Randhir, qui joue aux côtés de Raj et de Prithviraj Kapoor. La lignée se poursuit et l'on en est à la génération des petits-enfants… Que le cinéma soit une histoire de famille et, d'une certaine façon, rejoue l'histoire d'une famille participerait-il au succès du personnage ?
On va voir les films de Raj Kapoor parce qu'on veut revoir les amours d'un couple de cinéma, celui formé par Nargis et Raj, un couple au magnétisme surprenant. Nargis, née Fatima Rashid en 1929, de père hindou et de mère musulmane, est en effet une femme de tête, très grande, large d'épaules, et Raj Kapoor est un homme plus petit. La paire ne cesse de mettre en scène l'attraction qui les attire l'un vers l'autre. C'est Mehboob, dans Andaz, en 1949, qui le premier associe les deux acteurs et offre à Raj Kapoor son premier succès. La paire apparaîtra dans 17 films. Dans les films de Raj Kapoor, le personnage joué par Nargis franchit des rivières et disparaît emporté par la furie des flots, traverse les couloirs des prisons, toujours se précipite pour se jeter dans les bras ou aux pieds de son amant… Quand le couple chante sous la pluie, tout est fait pour amener au baiser, le couple ne se lâche pas des yeux, se rapproche et qu'il ne peut pas y avoir d'autre issue que le baiser, le parapluie vient habilement le dérober à la vue.
L'invention d'un cinéma généreux et lyrique : le cinéma masala des origines
Raj Kapoor crée un lyrisme cinématographique qui laisse sa trace sur le cinéma populaire indien. Qu'il s'agisse des chansons, des couples rapprochés par les trombes d'eau, des bourrasques qui font voler au vent cheveux, dupattas ou saris, ces motifs deviennent des topoï du cinéma indien[3]. Raj Kapoor les mêle à un idéalisme naïf gagné parfois par un élan épique : la chanson de Raju, quand il se prépare à vagabonder 420 km en direction de Bombay et qu'une grosse voiture le laisse sur le bord de la route, fait figure d'hymne pour cette foule silencieuse et stoïque qui part avec lui vers Bombay à dos de chameaux… Raju devient le porte-voix de ces masses opprimées…
Le lyrisme cinématographique pratiqué par Raj Kapoor dans ses premiers films est un lyrisme fondé sur la photogénie et sur le plaisir de la lumière. Rappelons à nouveau que Raj Kapoor a été clapman aux Bombay Talkies, ce studio fondé par Himanshu Rai, qui avait travaillé avec Franz Osten et Fritz Lang. Le directeur de la photo de Franz Osten, Joseph Wirsching, était resté en Inde. L'influence de l'expressionnisme allemand est fortement marquée dans le goût pour les forts contrastes de lumière, dans le choix fréquent du contrejour, dans ces atmosphères de pavés mouillés la nuit, ces gros plans auréolés. Le plaisir de l'image est manifeste dans les premiers films de Raj Kapoor. Que ce soit dans Aag (son premier film en 1947) ou dans Barsaat, le cinéaste expérimente une profondeur de champ inspirée de Citizen Kane, avec le point conservé sur le visage au premier plan et sur le personnage qui, à l'arrière plan, apparaît. La photogénie du noir et blanc est très marquée dans Barsaat et dans Awaara. Dans Barsaat, le montage alterné atteint une abstraction proche de celle d'Eisenstein, l'eau tumultueuse est montée avec des gros plans du visage effilé du père de l'héroïne, plans qui ne peuvent pas ne pas évoquer Ivan le Terrible. Les influences et emprunts sont multiples, on croit reconnaître du Charlie Chaplin, la minute suivante on bascule dans un film russe, des éclairages imitent l'expressionnisme allemand, mais la magie opère et le spectateur est tout entier au plaisir de voir ce couple Nargis-Raj ne cesser, d'un film à l'autre, de se perdre et de se retrouver, couple que l'on ne cesse de faire tourner dans la lumière et les ombres.
Au plaisir de la lumière se mêle le plaisir de discourir sur la société de façon manichéenne. Les films multiplient les oppositions binaires, les personnages stéréotypés : Shree 420 oppose la sainte et la vampe, Barsaat s'amuse à distinguer entre la prostituée qui prostitue son amour ou ce qu'elle appelle amour et celle qui, mère, fait commerce de son corps pour nourrir son enfant. Le schématisme se retrouve parfois dans les oppositions qui séparent des groupes de personnages : Raju et Vidaya représentent une Inde des valeurs traditionnelles. La tentatrice, au costume et aux danses occidentalisés, chante pour séduire Raju : « murh murh ke na dekh » (« ne regarde pas en arrière ») et enlève Raju à Vidya, en une victoire momentanée du cynisme. Plus tard, c'est au tour de Vidya de chanter une chanson suppliant son amant de se retourner vers elle. Le principe des symétries gouverne aussi la construction des films : les scènes de danses des pauvres des rues se font écho à travers le film, la chanson mera joota qui accompagne Raju lors de son départ pour la ville est reprise à la fin du film quand, en compagnie de Vidya, il retourne à la campagne.
Inventer un cinéma populaire, s'adresser à l'homme de la rue, c'est aussi, pour Raj Kapoor, donner à rêver. Awaara comprend une séquence de rêve, avec des effets de trucages, de surimpressions, de décalages d'échelles. Dans Shree 420 et dans d'autres films, le rêve peut, plus modestement, se retrouver dans la volonté de distraire le spectateur par la nouveauté, par la bigarrure, le dépaysement. Des détails inspirés par Hollywood sont intégrés dans le film, que l'on songe au nightclub, aux rythmes latino-américains, au jazz, à des expressions anglaises, au whisky, ou même à l'auto stop au début de Shree 420. La musique devient hybride. Raju porte un complet veston occidental…
L'invention du Charlot indien
Inventer un cinéma populaire, s'adresser aux foules, c'est surtout inventer un personnage dans lequel l'homme de la rue puisse se projeter. Raj Kapoor participe avec Dilip Kumar et Dev Anand à l'avènement du star-system en Inde. Les trois acteurs incarnent des personnages jeunes et les jeunes gens vont s'identifier à ces stars. Toutefois, l'originalité de Raj Kapoor tient probablement à cette figure du Charlot indien, vagabond qu'il fait apparaître pour la première fois dans Awaara, pauvre au cœur d'or, malmené par la société, et qui, malgré les larmes, rit toujours. http://www.youtube.com/watch?v=VY1pWTek2sY
Si l'influence de Chaplin est très visible (on peut citer la démarche, le costume de Raju ou même certaines affiches de Shree 420 représentant Raju assis aux côtés d'un enfant sur le trottoir, en hommage au Kid de Chaplin), le personnage de Raj, qui s'enrichit de la mémoire des films de Raj Kapoor lui-même, capte également tout un inconscient collectif masculin. Les jeunes gens qui s'estiment victimes des préjugés et de l'hypocrisie de la société se reconnaissent en lui comme avait pu le faire le personnage de Devdas quinze années plus tôt. Gayatri Chatterjee n'hésite d'ailleurs pas, dans son ouvrage consacré à Awaara[4], à rapprocher les deux personnages et à voir dans le Raj des films de Kapoor (le nom est tantôt Raj, tantôt Raju) le jeune urbain masculin autodestructeur né avec le Devdas de P.C. Barua, archétype de ce « jeune homme en colère » des années 70, incarné par Amitabh Bachchan dans Sholay. Ce personnage n'est pas que simple naïveté gentille et clownesque, Gayatri Chatterjee y lit des accents de désespoir, une mélancolie amplifiée par les chansons écrites par Shailendra, chansons que Ashraf Aziz[5] va jusqu'à qualifier de « poésie du suicide ». À la différence de Devdas toutefois, le personnage de Raj n'est pas habité de ce seul désespoir social mais il est hanté par une puissance comme purement imaginaire ou fantasmatique. Raj est formée de la vie du cinéaste et de l'histoire imaginaire des personnages des films, tout se mêle en une réalité d'images, en une force proche de l'étoffe dont sont tissés nos rêves… tout se mêle en une matière qui se transforme, condense et déplace, tout devient un rêve de cinéma. Je crois que pour dire « regarder un film », on dit en hindi « sapna dekna » : regarder un rêve. L'une des caractéristiques les plus originales du cinéma de Raj Kapoor est peut-être ainsi de créer des échos ou des continuités d'un film à l'autre. Ainsi le motif du visage baigné de larmes de joie revient-il dans Barsaat, dans Awaara (et l'on peut rappeler que l'un des logos de la maison de production de Raj Kapoor est cette juxtaposition des deux masques, celui de la tragédie et celui de la comédie) et les chansons vont même jusqu'à citer les films précédents. Gayatri Chatterjee[6] rappelle que dans les paroles d'une chanson se rejoignent les voix des personnages et celle du cinéaste. Quand l'acteur chante : « Mon cœur se consume et devient un feu/ Les larmes coulent et les pluies arrivent/ J'étais un vagabond comme ces nuages/ Et j'ai ri et j'ai pleuré », il entrelace les titres des trois premiers films du réalisateur (Aag, le feu ; Barsaat, les pluies, Awaara, le vagabond) et juxtapose les larmes et la joie. Raj Kapoor rêve d'un cinéma total, un cinéma où la vie, la famille, les films s'enlacent dans un mouvement sans cesse relancé, il rêve d'un cinéma qui épouse la force du désir. Et c'est probablement cette énergie du rêve qui fait naître un personnage auquel s'identifie l'homme de la rue.
L'éternel migrant…
Mais peut-être faut-il enfin aborder un des ressorts les plus puissants de la magie opérée par les films de Raj Kapoor : le rôle de la musique et des chansons, qui résonnent si profondément dans la mémoire indienne. On attribue au cinéaste l'introduction du principe d'une chanson thème qui court tout au long du film. Très souvent, le refrain joue le rôle de porte-voix d'une communauté et l'on reprend le style traditionnel des ghazals, des bhajans. Non seulement les chansons prolongent voire remplacent le dialogue (ainsi en est-il de la chanson partagée sous le parapluie, chanson par laquelle Vidya et Raju se déclarent leur amour) et jouent un rôle narratif primordial mais encore semblent-elles capables de dire quelque chose d'une identité indienne. Chansons de la nostalgie, chansons de l'éternel vagabond, chansons de ce peuple qui, à la Partition, a vu de longues kafila traverser le pays[7], des décennies plus tard, ces chansons consolent encore de ses malheurs et frustrations l'homme de la rue[8].
http://www.youtube.com/watch?v=5wjGc1zGWBc
« Awaara hum » (Awaara) et « Ichak dana bichak dana », « Mere joota hai Japani », selon Reuben [9] atteignent presque le statut d'hymne national indien quand les films voyagent en URSS et dans les autres pays. Les chansons du film sont transportées par Lata Mangeskar et Mukesh dans la mémoire populaire indienne. Les paroles : Mera joota hai Japani/ Yeh patloon hai inglistani / Sar pe lal topi roosi/ Phir bhi dil hai Hindustani[10] se trouvent sur les lèvres de l'archange Gibreel, héros explosé en plein vol qui les chantonne comme une chanson devenue l'hymne de l'éternel migrant. L'archange Gibreel, explosé en plein vol au début des Versets sataniques de Rushdie : un vol Air India qui, comme par hasard, porte le numéro AI 420 emporte en sa chute vertigineuse, dans un poudroiement de débris, la chanson de celui qui n'a rien à lui mais seulement un cœur indien… La chanson Mera joota hai Japani dans Shree 420 accompagne Raju dans sa longue marche, marche où une longue file de gens des campagnes le rejoint, file qui réveille la mémoire refoulée et douloureuse des kafila. Mera joota hai Japani épouse la psyché collective et parvient à véhiculer de façon très aiguë un moment de l'histoire populaire indienne, à s'ancrer dans une histoire symbolique. Porteuse des rêves du « common man », elle devient l'hymne de ce pauvre honnête qui quitte son village pour se perdre dans la violence et la fourberie de la ville, elle dit les espoirs de cet homme des foules, cet homme du commun aux espoirs naïfs. Chantée par Raju, qui d'abord marche seul avant d'être transporté par une foule silencieuse, elle est reprise en duo avec Vidya lors du dénouement, et forme une boucle infinie qui continue de résonner dans la mémoire de tous les migrants, de tous les damnés du long chemin.
Colette Mazabrard, Toulouse, 2013.
[1] . Frames of Mind, Reflections on Indian cinema, édité par Aruna Vasudev, New Delhi, 1995, p.41
[2] Indian Popular cinéma-a narrative of cultural change, p.18, K.Moti Gokulsing and Wimal Dissanayake, Orient Longman, New Delhi, 1998
[3] Indian Popular cinéma-a narrative of cultural change, p.18, K.Moti Gokulsing and Wimal Dissanayake, Orient Longman, New Delhi, 1998, p.95. Les traits caractéristiques du cinéma populaire indien seraient pas l'absence de véritable réalisme, des acteurs qui ont tendance à surjouer, une propension au mélodramatique, une utilisation de la caméra souvent tape-à-l'œil sans aucune discrétion, des personnages et situations stéréotypés, une place centrale accordée à la musique, des chansons qui influencent le déroulement de l'action, des danses servant à intensifier les émotions, souvent très suggestives alors que le baiser est censuré.
[4] Je me permets de renvoyer à mon article sur Devdas.
[5] Ashraf Aziz, Light of the Universe, essays on Hindustani Film music, Three Essays collective, New Delhi 2003
[6] Gayatri Chatterjee, Awaara, PenguinBooks India, New Delhi, 2003, p.114
[7] Urvashi Butalia raconte ces longues colonnes de personnes déplacées qui se croisaient lors de la Partition de l'Inde, traversant le pays pour gagner l'état auquel leur religion les assignait.
[8] Raj Kapoor, the fabulous showman, biography par Bunny Reuben, HarpersCollins Publishers, New Delhi, 1995, p.79
[9] Raj Kapoor, the fabulous showman, biography par Bunny Reuben, HarpersCollins Publishers, New Delhi, 1995
[10] (« Mes chaussures sont japonaises, ces pantalons anglais, ce chapeau rouge russe, mais mon cœur est toujours indien »)
March 25, 2013
Cinéma indien du 4 au 21 avril
Le festival Saison indienne
rendra un hommage au centenaire du cinéma indien du 2 au 21 avril
prochain. Le Festival mettra donc en vedette 12 films de tous horizons,
des
expositions et des conférences avec des thématiques de l’Inde. Divers lieux de projections accueilleront le Festival :
Cinéma ABC, ESAV, le Cinéma Alban Minville et le cinéma Rex Blagnac. Un
pass pour 5 entrées sera également à la disposition du public pour 22,5
euros.
Dossier en détail sur les films: http://www.bollywoodstudio.fr/le-festival-de-toulouse-met-linde-a-lhonneur/
Dossier en détail sur les films: http://www.bollywoodstudio.fr/le-festival-de-toulouse-met-linde-a-lhonneur/
Voici la liste des films qui sont programmés:
- Devdas de Sanjay Leela Bhansali
Jeudi 4 avril à 14h30 – Cinéma Alban Minville - Nanban de S.Shankar
Dimanche 14 avril à 17h00 - Cinéma ABC - The dirty picture de Milan Luthria
Dimanche 14 avril à 20h30 - Cinéma ABC - Shree 420 de Raj Kapoor
Mardi 16 avril à 20h30 – ESAV - Nirankush de Venu Arora
Mercredi 17 avril à 19h00 – ESAV - India by song de Vijay Singh
Mercredi 17 avril à 19h00 - ESAV - Mouna ragam de Mani Ratnam
Vendredi 19 avril à 14h30 – Cinéma Alban Minville + animation
- I am d’Onir
Vendredi 19 avril à 20h30 – Cinéma ABC + debat - Unni, l’autre histoire d’un enfant indien de Murali Nair
Samedi 20 avril à 15h00 – Cinéma ABC + goûter - Sita chante le blues de Nina Paley
Samedi 20 avril à 18h00 – Cinéma ABC + Buffet de tapas - Om Shanti Om de Farah Khan
Samedi 20 avril à 20h15 – Cinéma ABC + Démonstration de danse kalbelia
- Ek tha tiger de Kabir Khan
Dimanche 21 avril à 15h00 – Cinéma Rex Blagnac + Démonstration de danse kalbelia
March 24, 2013
March 23, 2013
Devdas... éternel Devdas !
La programmation de notre première Saison Indienne à Toulouse inclut le fameux chef-d'oeuvre de S. L. Bhansali, que l'on ne présente plus... ou sur lequel on peut au contraire s'émerveiller encore et toujours. Colette Mazabrard partage ici avec nous sa vision de ce grand film. Projection au cinéma Alban Minville, le jeudi 4 avril à 14h30.
Paro aime Devdas et Devdas aime Paro, et ce, depuis
l'enfance, mais les deux amoureux vivent dans deux maisons voisines qu'un mur
invisible et présent sépare : Devdas est le fils d'un riche zamindar,
autrement dit d'un riche propriétaire, tandis que le palais du père de Parvati
se délabre. Depuis l'enfance, les deux jeunes gens partagent jeux et
taquineries, s'amusent dans les vergers. Le film de Bhansali débute avec le
retour du jeune homme, qui rentre de Londres où il a étudié dix longues années.
Le temps n'a fait que renforcer l'amour entre Paro et Devdas mais le père de
Devdas va violemment s'opposer au mariage, jugeant la famille de Paro d'une
condition indigne de la sienne. En effet, Sumitra, la mère de Paro, est une
ancienne actrice et danseuse et la famille de Devdas le lui rappelle en
l'humiliant de façon cinglante quand elle vient proposer Paro en mariage.
Sumitra se venge de l'affront en jurant de marier Parvati à un aristocrate de
caste supérieure. Devdas est un homme au caractère impulsif, changeant,
traversé d'imprévisibles et brusques bouffées de violence. Il n'a pas senti
qu'en jouant avec les sentiments de Parvati il mettait en danger leur union.
Après une scène violente avec son père, il quitte la maison familiale et part
s'installer dans un bordel, où il noie son chagrin dans l'alcool, cherchant
l'oubli et s'enfonçant dans la spirale de l'autodestruction. Ni Paro, venue le
rechercher dans le « Palais des plaisirs » où il est allé se
réfugier, ni Chandramukhi, fascinante courtisane qu'il maltraite mais qui est
tombée amoureuse de lui, ne parviennent à le sauver.
On compterait plus d'une dizaine[1]
d'adaptations cinématographiques du roman bengali publié en 1917 par Sarat
Chandra Chattopadhyay (1876-1938), dont un autre ouvrage, Parineeta, a
lui aussi été adapté au cinéma. Bhansali, au générique de son film, rend
explicitement hommage à l'écrivain bengali mais aussi aux cinéastes P.C. Barua
et Bimal Roy, qui ont proposé une adaptation en hindi respectivement en 1935 et
1955. Pourquoi raconter encore la tragique histoire de Devdas ? En ces
années 2000, Bhansali trouve dans cette aventure une façon de faire surgir la
nostalgie d'une Inde éternelle, la nostalgie d'un âge d'or du cinéma indien,
comme s'il fallait à nouveau, en ces années Shining India, créer les
normes d'un classique.
La force du Devdas de 2002, c'est en effet de
concentrer tous les lieux communs dont rêve un Bollywood : un scénario
avec des amants contrariés, des décors et des costumes opulents, des danses
virevoltantes alternant chorégraphies de groupe et duos, des sentiments
intenses et condamnés à l'échec… Tout est fait pour exalter la nostalgie d'un
cinéma commercial classique exaltant des valeurs traditionnelles, tout est fait
pour plonger le spectateur dans une Inde éternelle…
Devdas est
d'abord le rêve d'une passion… L'enfant violent et ombrageux du film de Bimal
Roy (1955) est devenu un éternel adolescent attardé, incarné par le jeu forcé
d'un Shah Rukh Khan. L'acteur, malgré la quarantaine, continue à interpréter
des jeunes gens taquins, immatures. Si Shah Rukh Khan force le trait et si son
jeu relève plus de la grimace que de la passion, la force des sentiments est
dite, dans le film, par d'autres procédés. La force de Devdas, en 2002,
est de tout faire pour intensifier l'émotion : le film s'ouvre par la
course folle de la mère emportée par la joie de la nouvelle :
« Devdas est de retour ! », cri et course plusieurs fois relayés
dans le film par ceux de Parvati enfant, par la course éperdue de Paro adulte
fuyant la maison de son mari à la rencontre éperdue de Devdas à la fin du film
ou par celles, nocturnes, qui l'emmènent chez Devdas, risquant le déshonneur de
sa famille. La passion est aussi dans les coups de la trique du père de Devdas
punissant son fils, claquements sifflants et cinglants qui se mêlent aux
« Hare Rama », aux cris de Parvati enfant divani pagli qui
court, folle, derrière la calèche de Devdas toujours la quittant… et la
réussite de Bhansali tient souvent à ce rythme qui fond ensemble musique,
histoire, gestes des acteurs, succession des plans. La passion, dans Devdas,
est dans le plaisir de l'image, dans la photogénie. Tout dans le plan cherche
l'éclat, la lumière de la lune. Les couleurs chatoient et les personnages ne
cessent de se chercher du regard. On s'épie d'un palais à l'autre à l'aide de
jumelles, on se regarde dormir sous la lune… Les vitraux réverbèrent les éclats
du tonnerre et de la foudre. Les saris et cheveux volent au vent… Le décor
multiplie les piliers, les escaliers (que Satyajit Ray considérait comme des topoï
du cinéma commercial indien) et l'émotion surgit aussi par ces chansons qui
entremêlent dans une synchronisation parfaite l'histoire de Radha et Krishna
aux amours de Devdas et Paro. Elle tient à ce rythme qui tourbillonne en des
jeux vertigineux, parmi les miroirs des palais, au milieu des vitres, elle
tient à ce tournoiement infini, à cette fête constante où les couleurs, les
gestes et les sons se répondent, elle tient à ces chansons qui multiplient les
échos : dya (la lampe) rappelle cette djeena (cette vie) qui
se consume, pyar (amour) rime avec pya (bu) pour ne cesser de
dire la tragédie de Devdas, « tempête » du cœur maternel, qui s'abîme
en l'alcool, tandis qu'au dehors se déchaînent les bourrasques. C'est par un
tourbillon d'échos vertigineux que se disent la passion et la fascinante
tragédie d'un homme : la descente aux enfers de Devdas, qui avait pourtant
entre les mains tout l'or de la vie.
Mais le rêve d'une passion, c'est aussi le portrait de
ces deux femmes qui, par amour, oublient très vite leur rivalité devant
l'immensité de l'amour et du sacrifice que chacune d'elle reconnaît en l'autre.
Paro entretient une lampe allumée pour faire revenir l'être aimé parti au loin,
Chandramukhi accepte humblement de soigner et servir un homme qui pourtant la
repousse.
Mais si Devdas, en 2002, cherche à incarner le
rêve d'un âge d'or du cinéma populaire indien, c'est aussi parce qu'il en
réactive les procédés.
Comme dans tout film populaire, il faut qu'il y ait
une certaine dose de manichéisme. À la complicité entre la grand-mère et son
petit-fils, Bhansali oppose la perfidie jalouse et fielleuse de la belle sœur
de Devdas ainsi que le complot ourdi par le beau-fils de Paro dans sa nouvelle
famille… La trique du père de Devdas claque dans l'air, Kaushalya, mère de
Devdas, humilie la mère de Paro en la rabaissant à son statut de danseuse…
Autre archétype présent dans le film, celui d'un homme déchiré entre deux types
de femmes opposés, entre une sainte et une courtisane. Paro est la paglidivani,
la « sainte folle » chantée par la chanson initiale et dont la danse
tourbillonnante se termine en un nuage de poudre rouge devant Durga aux mille
bras, une paglidivani sûre de son amour aussi pur et puissant que cette
flamme qu'elle garde toujours allumée. Sorte de vestale que son mariage garde
chaste, elle peut se consacrer totalement à cet amour qui la consume. Quant à
Chandramukhi, si son rôle de courtisane peut dans un premier temps laisser
penser au personnage de la vamp proposé par tout Bollywwod, la femme du monde
rejoint bien vite la femme de la maison, gagnant une forme de sainteté quand
Paro, bravant les interdits, se rend au bordel pour sauver Devdas et découvre
combien Chandramukhi aime Devdas. Chandramukhi cesse d'être une prostituée et
une rivale et devient une sorte de sœur en dévotion.
C'est probablement par là que l'histoire de Devdas
touche au mythe. Chandramukhi rejoint Paro dans la dévotion à Devdas, toutes
deux transformées en sorte de gopis chantant, dansant, pleurant d'amour autour de
leur Krishna… Quant à Devdas, il incarne pour la psyché masculine indienne un
mythe, celui d'un homme-enfant colérique, égoïste et parfois violent (il
n'hésite pas à marquer le front de Paro d'un coup de collier qui l'ensanglante
d'une trace vermillon, scellant de son sang leur mariage symbolique) qui crée
son propre malheur. Chandramukhi dit de cet homme perdu qu'il n'a plus
« ni âme, ni dévotion, ni but » mais ne fait plus que boire pour
oublier. Le film rompt avec l'idée d'un fin heureuse. P.K.Nair[2] dit que Devdas
a même créé une mode du film tragique et que certains acteurs, à l'instar de
Dilip Kumar interprétant Devdas dans la version de Bimal Roy, ont par la suite
été spécialisés dans les rôles tragiques. De nombreux jeunes gens, après avoir
vu le personnage joué par Kundan Lal Saigal dans le film de P. C. Barua en
1935, auraient pris le parti autodestructeur de noyer leur désespoir amoureux
dans l'alcool. Nair rappelle également l'impact profond pour la psyché des
jeunes gens laissé par les deux acteurs, P. C. Barua mais aussi K. L. Saigal
morts prématurément des désastres de l'alcool. Dans les années 30, le Devdas
de P.C. Barua crée un archétype : on appelle désormais
« devdas » tout amoureux éconduit qui noie son chagrin dans l'alcool,
à en mourir. Gayatri Chatterjee[3] voit dans
le film non seulement la naissance d'un type masculin mais aussi celle d'un
genre, celui du “self-destructive urban hero”, prototype du jeune homme en
colère. Le « angry young North Indian man » dont parle Ashis Nandy
est incarné, dans les années 70, par Amithab Bachchan. Non seulement le
personnage mais aussi l'intrigue de Devdas inventent des thèmes et
structures qui ne cesseront d'être exploités par le cinéma ultérieur (notamment
par certains films de Raj Kapoor : Awara, Shree 420 et Barsaat) :
le motif d'une enfance avec certains idéaux, le conflit avec le père, le départ
pour la ville, la perte de l'idéal et la dépression du héros, une fin funeste.
Par ailleurs, Gayatri Chatterjee estime que ce genre serait une première tentative
pour définir la masculinité indienne en des temps de lutte pour l'Indépendance,
temps où l'homme affronte aliénation et perte d'identité, période où
l'industrialisation entraîne des migrations urbaines. Elle pense que ce type de
film est lié à des périodes de changements socio-économiques brutaux où le
sujet est partagé entre la joie d'une nouvelle identité nationale et la
conscience de la perte de l'ancienne identité régionale.
En ce début de nouveau millénaire, le canon gronde aux
frontières. Les tours jumelles se sont effondrées à New York et la frontière
avec le Pakistan, suite à l'attaque du Parlement indien début décembre 2001, se
peuple d'un million de soldats. Le parti nationaliste est au pouvoir en Inde,
le monde de la communication cherche à vendre l'idée d'une Shining India.
Devdas est attendu, en cette année 2002, comme le film au plus gros
budget jamais produit en Inde. Il rassemble les trois stars du moment : Shah
Rukh Khan, Aishwarya Rai et Madhuri Dixit, actrice devenue si rare au cinéma et
muse du peintre Maqbool Fida Husain (qui avait, en son temps, fait partie de
l'avant-garde et avait représenté, déchaînant la furie des fascistes hindous,
Madhuri en tant que Durga – il lui trouvait, c'était en ses termes un
compliment, la grâce d'un éléphant). La sortie du film est précédée par de
multiples controverses concernant le coût exorbitant du film. On n'hésite pas à
persifler, estimant que le film n'est qu'un pur produit à destination des
N.R.I, les Non residents indians, ces Indiens qui vivent à l'étranger mais dont
on souhaite qu'ils investissent en Inde. On leur adresserait donc un film qui
viserait à prouver l'excellence de l'industrie cinématographique indienne et,
au-delà, de l'Inde entière. Ce n'est probablement pas un hasard si, dans la
version Bhansali de Devdas, le héros ne revient pas de Calcutta mais
rentre de Londres et s'amuse à traiter Paro de « trop villageoise ».
En ces années 2000, la fierté patriotique est exacerbée et le retour au pays
est dans ces années-là un thème fréquent dans le cinéma hindi. En 2004, Swades,
film d'Ashutosh Gowariker, oppose la simplicité un peu rustique d'une
institutrice mère courage qui exerce dans un village auprès d'enfants aux pieds
nus, à l'orgueil d'un Indien revenu au village, après des années comme
ingénieur à la NASA. L'institutrice calcule, avec son boulier, bien plus vite
que l'ingénieur, incapable de réfléchir sans ordinateur… C'est en ce début des
années 2000 que le B.J.P. au pouvoir (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple Indien, à tendance
très nationaliste) rebaptise les capitales indiennes, Calcutta (re)devient
Kolkatta, Madras Chennai et Bombay Mumbai. La fièvre patriotique contamine un
peu tout. On célèbre la modernité technologique d'une Inde qui donne à la
navette Columbia sa première femme cosmonaute et, dans le même temps, désire
ardemment le retour à des valeurs traditionnelles.
Devdas est
rempli de cette nostalgie d'une Inde traditionnelle et éternelle. Bien sûr
cette nostalgie est sensible dans l'opposition entre un monde urbain, celui de
la grand’ ville où Devdas découvre l'alcool, et la famille enfermée entre ses
murs, mais on la trouve dans un certain traditionalisme kitsch du film. Souvent
l'éclairage fait penser aux lithographies populaires imprimées par les presses
du Raja Ravi Varma, avec ses personnages alanguis sur un rocher ou près d'une
cascade au clair de lune. Dès le générique, les beautés éternelles de l'Inde
sont convoquées tandis que le texte défile sur un fond de fresques rappelant
celles des grottes d'Ajanta. L'érotisme n'est pas figuré par les habituels
déhanchements obscènes des autres films de l'époque mais il est davantage
voilé, suggéré par un détour, des lèvres approchées, des cheveux au vent qui
fouettent un visage, le sang qui goutte lorsque l'amant retire l'épine de la
chair, l'eau versée qui éclabousse le front, le duppatta que l'on tire pour
rapprocher les amants ou ce voile transparent qui sépare et masque les corps.
La gestuelles des danses n'est pas empruntée aux clips musicaux de M.T.V. mais
à celles du kathak ou du bharat natyam. Les couleurs du film convoquent celles
des fêtes religieuses, les mantras viennent parfois, ainsi que les conques,
résonner dans la bande-son. L'Inde éternelle, elle est aussi dans les chansons
et danses qui racontent l'histoire de
Radha et de Krishna, leurs amours au bord de la Yamuna. La lune dans l'éclat de
la nuit et le bleu rappellent l'univers dans lequel on figure Krishna, l'enfant
dieu représenté avec une peau sombre ou bleue, jouant de la flûte. L'Inde
éternelle, elle est dans le dialogue des amants et rejoue le couple divin formé
par Radha qui, par son amour, contrôle Krishna. Le dieu-enfant, lui aussi,
passe son enfance entouré des Gopis avec lesquelles il s'amuse avant de quitter
le village, âgé d'une dizaine d'années, pour étudier à la ville. Radha est
souvent vue comme l'amie et la conseillère de Krishna, avec lequel elle
entretiendrait une double relation, celle de la femme mariée et celle de
l'éternel amour. Elle est souvent considérée comme l'âme de Krishna et la
métaphore est explicitement reprise dans le film. Le film Devdas est donc, en
ces années d'inquiétude nationaliste, une façon de réinventer un classicisme et
de redire la nostalgie d'une Inde éternelle.
Colette Mazabrard, Toulouse, 2013.
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